Associations 21 a écrit aux représentants de la Belgique au Sommet de la Francophonie à Kinshasa pour attirer leur attention sur une traduction française problématique de la Déclaration Finale de Rio+20: Pachamama, c’est “Mère terre” et non “Terre nourricière”!


Lors de l’AG thématique « Rio+20: qu’en retenir? » d’Associations 21 le 24 septembre 2012, il fut remarqué que dans le paragraphe 39 de la Déclaration Finale de Rio+20, le terme anglais « Mother Earth » (qui traduit fidèlement le terme quechua Pachamama) a été traduit « terre nourricière » et non « mère terre ».

Ce détail peut sembler anecdotique mais souvenons-nous qu’il y a 25 ans, les traducteurs des Nations Unies ont cru bon de traduire « sustainable » par «durable » et non par « soutenable » qui aurait moins prêté à confusion. On ne reviendra plus sur cette erreur là, mais évitons-en de nouvelles à l’avenir!

Justement, en juin 2012 à Rio, nous avions déjà attiré l’attention du Ministre Magnette, en vue de son discours devant l’Assemblée des Nations Unies, sur deux paragraphes de la Déclaration Finale qui nous tenaient à coeur, dont ce fameux paragraphe 39 que nous avions alors traduit nous-mêmes, en utilisant le vocable “Mère terre” et en nous référant au terme “Pachamama”.

Nous pointions alors qu’en général, les Européens sont mal à l’aise avec une vision holistique de la nature. Ils préfèrent donc la présenter de manière utilitariste : l’environnement ce sont nos ressources. Le problème de la vision utilitariste, c’est qu’elle légitimise la financiarisation de la nature, déjà à l’oeuvre avec les mécanisme de compensation. Or en commercialisant toutes les ressources naturelles, on va déposséder les populations les plus pauvres de leurs moyens de subsistance. Ceci d’autant plus que, comme ces ressources s’épuisent, leur valeur augmente et avec elle leur prix, de sorte qu’elles ne seront plus accessibles qu’aux riches.

La manière dont les traducteurs des Nations Unies ont traduit, durant l’été 2012, ce paragraphe 39, illustre à postériori la remarque transmise en juin 2012 par Associations 21 au Ministre Magnette. Les francophones seraient-ils d’incorrigibles cartésiens?

Certes, la terre nous nourrit mais peut-on respecter cette incise voulue par les pays d’Amérique Latine dans son esprit autant que dans sa lettre? Voici en substance le sens de la lettre ouverte adressée cette fois par Associations 21 aux représentants de l’Etat Belge au XIVe Sommet de la Francophonie qui se tiendra du 12 au 14 octobre 2012 à Kinshasa.

Ca tombe bien: justement, cette année, le thème de ce sommet, ce sont les enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale!

Courrier adressé aux ministres Didier Reynders et Rudy Demotte le 1er octobre 2012

Les membres d’Associations 21 prient les représentants de l’Etat Belge au XIVème Sommet de la Francophonie d’examiner la traduction française de la Déclaration Finale de Rio+20. Entre autres remarques qui pourraient être faites sur cette traduction, nous pointons, au début du paragraphe 39, le choix d’une expression réductrice et tendancieuse qui devrait être corrigée dans la version française avant l’adoption officielle de cette Déclaration à l’Assemblée Générale des Nations Unies:

-Original en anglais: « We recognize that planet Earth and its ecosystems are our home and that « Mother Earth » is a common expression in number of countries and regions »…

 Traduction française des Nations Unies: Nous considérons que la Terre et ses écosystèmes sont notre foyer et constatons que l’expression « Terre nourricière » est couramment utilisée dans de nombreux pays et régions…

Question linguistique

« Mother Earth » a donc été traduit par « Terre nourricière » et non par « Mère terre ». Il n’y pas lieu de se positionner sur le sens de cette conception qui gêne peut-être certains esprits cartésiens. Que cela plaise ou non aux traducteurs des Nations Unies, il leur revient de fournir la traduction la plus fidèle possible d’un terme qui a déjà une longue histoire puisqu’il provient du mot quechua « Pachamama » .

Il n’est malheureusement plus temps d’épiloguer sur le choix du mot « durable » pour traduire « sustainable », le « développement durable » étant une terminologie en vigueur depuis 25 ans. Ne reproduisons plus ce type d’erreur à l’avenir.

Question philosophique et politique

Le fait que Pachamama / Mother Earth soit traduit correctement en français nous tient à coeur parce que cette terminologie sous-tend une vision holistique de la terre. Celle-ci nous nourrit, certes, mais au-delà, elle n’est pas seulement un « bien » à notre disposition ! C’est pourquoi nous trouvons la traduction « terre nourricière » réductrice et tendancieuse parce que cette optique utilitariste s’inscrit dans la marchandisation déjà en cours des ressources naturelles et des écosystèmes.

Les impacts sociaux d’une telle évolution sont importants. Nous nous référons à présent au paragraphe 30 de la Déclaration finale de Rio+20: « Nous savons que la subsistance, le bien-être économique, social et physique et la préservation du patrimoine culturel de nombreuses personnes, notamment les pauvres, sont directement tributaires des écosystèmes. C’est pourquoi il est indispensable de créer des emplois décents et suffisamment rémunérateurs afin de réduire les écarts de niveaux de vie, de mieux répondre aux besoins des personnes, ainsi que d’encourager des modes de subsistance et des pratiques durables et l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et des écosystèmes ».

Cependant, dès lors que des ressources naturelles sont transformées en marchandises, les populations les plus pauvres se retrouvent dépossédées de leurs moyens de subsistance car ces ressources s’épuisant, leur valeur augmente et avec elle leur prix, ne les rendant plus accessibles qu’aux riches. D’où l’enjeu d’une approche économique considérant les ressources naturelles et les écosystèmes comme des « communs », à gérer de façon collective et démocratique.

Question culturelle

C’est à dessein que les pays d’Amérique Latine ont voulu insérer dans la Déclaration de Rio cette reconnaissance officielle du terme Pachamama, déesse des cosmogonies amérindiennes, pour consacrer l’importance du message adressé à la communauté internationale par les peuples indigènes quant à l’enjeu d’une vie en harmonie avec la nature. C’est aussi une façon d’introduire le §41 de la déclaration: « Nous prenons note de la diversité naturelle et culturelle du monde et reconnaissons que toutes les cultures et toutes les civilisations peuvent contribuer au développement durable ».

Conclusion

Il revient à la francophonie dans son ensemble de faire sienne cette reconnaissance de l’enjeu de la diversité culturelle, en rectifiant le tir de la traduction du paragraphe 39 de la Déclaration Finale de Rio+20 et de rester attentive à l’avenir à adopter en français des terminologies fidèles au sens qui leur est donné dans la langue d’origine.

Pour Associations 21,

Antoinette Brouyaux, coordinatrice.