Le samedi 9 juillet à 15h, le festival LaSemo, accueillait sous la drache un débat animé par Associations 21 sur le catastrophisme… Heureusement, le soleil s’est levé sur nos conclusions et sur les concerts !


Sous une pluie battante, à l’abri d’une tente bruyante, nous nous sommes accrochés vaillamment pour débattre sans micro de cette question millénaire réveillée par la catastrophe de Fukushima : le monde est-il foutu ?

Avec Christophe Schoune, secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie, Stéphane Parmentier d’Oxfam Solidarité et Vincent Georis, journaliste de l’Echo, retour du Japon.

Introduction par Antoinette Brouyaux, d’Associations 21

Le catastrophisme est une posture généralement reconnue comme négative. Comment dès lors appréhender les véritables catastrophes, survenues ou prévisibles ? En 2002, le philosophe ingénieur français Jean-Pierre Dupuy, proposait l’approche du « catastrophisme éclairé ». Au-delà d’une gestion des risques plaçant la catastrophe dans un futur improbable, une analyse scientifique des éléments d’une catastrophe nous aide à en évaluer l’importance, à discerner les causes et mesures à prendre, bref à en gérer les impacts plus efficacement. Plutôt que de la nier ou de la relativiser, il s’agit de prendre à bras le corps son caractère inéluctable. Bref, de passer à l’action, en toute connaissance de cause.

Exemple récent à l’appui : la catastrophe nucléaire de Fukushima consécutive au tsunami qui a fait 23.000 morts. Comme les victimes de la pollution radioactive sont, elles, toujours vivantes, elles ne font plus la une des médias dominants, qui se contentent de relayer ponctuellement les communiqués de Tepco ou des autorités japonaises. Celles-ci sont assez avares d’informations, craignant les mouvements de panique et estimant impossible l’évacuation du million de personnes qui vivent dans la zone contaminée. Il faut donc recourir à l’internet citoyen pour être tenu précisément informé de l’évolution de la pollution radioactive. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant de trouver en ligne des informations exagérément alarmistes, qui sèment la confusion (relevé de sites internet qui suivent cette actualité).

A l’opposé du catastrophisme éclairé, on trouve diverses prises de positions contre les prophètes de malheur, dénonçant la “séduction du désastre” : 
Régis Debray, Bruno Tertrais, Pascal Bruckner… Qui frisent parfois l’enviro-scepticisme. Plus proche de nous, fin 2010, le Réseau Idée proposait une approche plus distanciée, dénonçant le discours anxiogène de l’urgence, à travers cet édito de Christophe Dubois. Il contient moult références utiles et est suivi d’une réaction tout aussi documentée de Bernard Legros.

Cette opposition de points de vue n’est pas neuve. Elle traverse toutes l’histoire des religions et des sciences, entre prédictions millénaristes et approche scientifique, depuis l’Apocalypse jusqu’aux prospectives les plus fines du GIEC sur le futur du climat. La catastrophe de Fukushima nous oblige-t-elle à reconsidérer ces points de vue ?

Christophe Schoune, IEW

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Les médias peuvent nourrir une tendance à la catastrophisation parce que les mauvaises nouvelles sont plus « exposées », elles font logiquement davantage recette que les bonnes nouvelles. Et ce, pas seulement en matière d’environnement. Il est plutôt heureux que les politiques exploitent peu le catastrophisme, exception faite des partis populistes et d’extrême-droite qui jouent clairement sur la peur et le repli sur soi. Si les médias mettent si souvent en avant non seulement des scoops accrocheurs, mais aussi des rapports préoccupants voire des alertes d’ONG, c’est pour des raisons sociétales mais aussi d’économie. Cette économie des médias s’explique elle-même par le fait que la peur, la mort et la fascination qu’elles exercent sont des ressorts humains très profonds. On les active dans un contexte de confort et de sécurité jamais atteint précédemment en Occident. Le problème, c’est que ces ressorts sont contre-productifs, pas seulement du point de vue de la bonne réceptivité de l’information, mais par rapport aux changements de comportements. La peur suscite des mécanismes de défense et de fuite. C’est pourquoi les ONG essayent de positiver les choses, d’allier à leurs messages et leur travail de fond la dimension de plaisir. C’est sur cette base que la compréhension des enjeux et l’engagement deviendront possibles.

Stéphane Parmentier, Oxfam Solidarité

Il faut être conscient de la gravité de la situation, mais attention à la résignation, il y a des marges de manoeuvre, la sensibilisation doit toujours être accompagnée de pistes d’alternatives. Le politique ne joue pas assez son rôle de garant de l’intérêt général. Il renonce à prendre en compte les droits fondamentaux. Ainsi, en matière de souveraineté alimentaire : les décisions sont prises sans concertation avec les premiers intéressés.
De l’autre côté, il ne faut pas tomber dans la théorie du complot. Le noeud du problème, c’est le déficit démocratique dans les prises de décision. On aurait tout intérêt à démocratiser celles-ci en mettant plus en avant l’intérêt général. Certes, chacun peut agir à son niveau personnel, mais cela ne doit pas masquer la responsabilité du politique.

Vincent Georis, l’Echo

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Toute la difficulté est de communiquer sur un problème sans lien direct avec l’actualité. On l’a vu il y a 12 ans avec la crise de la dioxine : dès que l’actualité s’invite dans un débat, on fait mouche. Mais l’intérêt retombe vite, d’où l’importance des mouvements de fond, portés par les ONG. Celles-ci ne peuvent s’appuyer sur le catastrophisme, c’est une base bien trop fragile.

Ainsi, avec Fukushima : pour le moment, l’opposition au nucléaire est plus vive. Mais est-ce que ça va durer ? Les stress-tests peuvent avoir un effet anesthésiant en donnant l’illusion qu’on prend les choses en main. Sur place, au Japon, peu de journalistes Belges y sont allés, d’où l’intérêt du reportage effectué en mai pour l’Echo (reportage paru le 21/05/11). Pour l’occasion, Vincent Georis a amené avec lui un dosimètre fourni par Doel, où il est retourné ensuite se faire scanner.

L’unité de base de la radioactivité est le sievert. Le niveau de 10 sievert est mortel. 1 millisievert par an est la dose admise par l’OMS (20 millisieverts par an pour les travailleurs du nucléaire dûment équipés). 1 microsievert est le « bruit » radioactif habituel que nous subissons. Dans un avion, on mesure 1 microsievert par heure. Rappelons aussi que les différentes matières radioactives ne sont pas toute d’égale dangerosité : le plutonium est particulièrement pernicieux.

Ce qui l’a frappé dans son voyage : l’avion vide, l’aéroport vide, le bus vide l’emmenant de l’aéroport à Tokyo… Où le « bruit de fond » radioactif a doublé, ce qui en soi n’est pas dangereux. Ce qui l’est, en revanche, c’est la contamination des eaux et des aliments, singulièrement des poissons. L’agriculture et la pêche du nord du pays sont anéanties, sans parler des conséquences du tsunami. Les Japonais craignent encore les répliques du tremblement de terre. Ils sont très amers sur les étrangers ou sur ceux de leurs compatriotes qui ont fui le pays et saluent ceux qui sont restés, particulièrement le nouvel ambassadeur de Belgique, arrivé juste après le séisme. Cette peur relative de la population alimente une forme d’auto-restriction et une tristesse coutumière. On n’envisage plus de voyager (le secteur du tourisme européen ne va pas tarder à s’en ressentir). En douce, certains paniquent franchement.

Là où ils ont toute raison de paniquer, c’est à Fukushima-city et dans les autres villes situées dans un rayon de 80 km autour de la centrale où l’on enregistre des doses 20 à 40 fois supérieures aux normes OMS. Au total, un million de personnes vivent dans cette zone qui, de l’avis même de la Maison Blanche, devrait être évacuée. Seulement, le gouvernement Japonais ne sait où les conduire et trouve que cette évacuation serait trop onéreuse. C’est pourquoi il a relevé les doses de radioactivité admissibles. Les populations concernées ne sont pas dupes, de plus en plus de gens sont munis de dosimètres. Ils se tiennent le plus possible à l’intérieur des bâtiments où la radioactivité est moindre. Mais dès que l’on est dehors, c’est catastrophique, surtout pour les enfants qui jouent et respirent plus près encore du sol, sans protection…

Christophe Schoune: La catastrophe de Fukushima ayant ranimé le débat sur la sortie du nucléaire en Belgique, les deux grandes fédérations environnementales du pays ont uni leurs efforts avec Greenpeace et le WWF pour rappeler le respect nécessaire de la loi votée en Belgique en 2003, qui prévoit la sortie du nucléaire à partir de 2015. « Stop & go », c’est le nom de la plate-forme qui s’est constituée pour dire stop au nucléaire et avancer vers 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050. Stop & go a notamment lancé une pétition. Or, on constate que le nombre des signatures de la pétition plafonne aujourd’hui à 82.000 après deux mois de lancement. Certes, la catastrophe fascine, les médias en usent et en abusent, mais ce catastrophisme ne mobilise pas très largement les consciences. La catastrophe est regardée comme une série TV où chacun devient un spectateur et non pas un acteur. Le lien avec ce qui nous concerne dans les changements de société qui sont à l’oeuvre n’est peut-être pas assez tangible pour nombre de citoyens. Sans travail de fond de l’opinion, la sensibilisation liée à l’événement, qu’il s’agisse du nucléaire ou de l’ouragan Katrina, ne pourra surmonter l’obstacle de l’individualisme. Et ce n’est pas facile de remettre le collectif et la participation au centre des mécanismes qui conduisent aux décisions, comme tentent de le faire les ONG.

Les médias n’aident pas sur ce plan, et les institutions pas toujours non plus… Ainsi, des processus participatifs novateurs sont parfois menés, qui conduisent les citoyens à des conclusions intéressantes et à une réelle implication dans des dossiers pourtant complexes. La Fondation Roi Baudouin a par exemple organisé un panel citoyen sur le devenir des déchets radioactifs. Après briefing d’experts, ledit panel citoyen, un peu à l’image d’un jury d’assises, avait conclu qu’il fallait éviter l’enfouissement dans l’argile, jugé trop hasardeux compte tenu de la durée de vie de ces déchets. Qu’a fait l’ONDRAF de ces conclusions ? Poubelle! Elle ne les as pas suivies. C’est bien ça le problème ! Si l’on demande l’avis des citoyens, il faut en tenir compte dans la proposition de décision  ! L’avis du citoyen doit éclairer le politique.

Il y a également un paradoxe entre le catastrophisme dont sont friands les médias et la difficulté de relayer des enjeux environnementaux de fond liés aux catastrophes. On doit souligner à cet égard la difficulté de faire passer des messages positifs. IEW a salué les aspects intéressants de la note de Di Rupo au plan environnemental, aucun média n’a relayé cette position, tandis que les critiques acerbes de différents lobbies étaient abondamment reprises…

Antoinette Brouyaux : en conclusion, la société civile a intérêt à se concentrer sur ce qui vaut la peine d’être tenté, afin d’être en mesure d’obtenir des résultats encourageants qui protègent du fatalisme ambiant. N’oublions pas le bon vieux « rapport de force » ! Le combat sert toujours à quelque chose, nous en avons fait maintes fois l’expérience, dans nos activités diverses. Il n’est pas toujours indispensable d’être très nombreux, parfois la chance ou une stratégie astucieuse produisent des résultats étonnants.
A ce propos, signalons l’initiative de citoyens français qui se proposent d’inviter et d’héberger des Japonais pour leur permettre de passer au moins des vacances dans un milieu sain, à l’instar des réseaux de familles qui ont accueilli des étés durant, des enfants de Tchernobyl. Certes, l’action citoyenne n’est pas l’action politique mais son pouvoir de pression est important, on le voit aussi avec l’internet citoyen mobilisé sur les suites de Fukushima.

Christophe Schoune signale que les initiateurs de « Stop & Go » vont à présent chercher à mobiliser des entreprises et des acteurs culturels à travers une plate-forme qui dénombre aujourd’hui 80 organisations. L’écho est pour le moment supérieur en Flandre où le mouvement pacifiste et anti-nucléaire a gardé des racines profondes. L’opinion francophone est plus timorée sur cette question-là. C’est paradoxal, d’une certaine manière, puisque l’écologie politique est mieux représentée au Sud qu’au Nord du pays. Stop & Go ambitionne d’atteindre les 100.000 signatures pour sa pétition à la rentrée et lancera une nouvelle campagne à l’automne. Un événement sera organisé le 17 septembre près de Tihange. Toutes les associations désireuses de nous rejoindre dans nos messages sont les bienvenues: http://www.stop-and-go.be/fr.

Pour aller plus loin

 Lire Jean-Pierre Dupuy, « Pour un catastrophisme éclairé », Point, 2002

 Ecouter l’émission Réplique de France Culture consacrée le 18 juin 2011, à cette question “Faut-il être catastrophiste?” avec Jean-Pierre Dupuy & Bruno Tertrais. .
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