Les études d’impact des décisions sur le développement durable (EIDDD / DOEB en NL) dites « tests de durabilité », sont souvent évoquées comme une bonne idée et sont même à présent obligatoires au niveau fédéral. Cependant elles ne sont jamais appliquées. Pourquoi? Nous avons tenté d’y voir clair avec Sophie Sokolowski, présidente ad interim du SPP Développement Durable. Echos de cet échange et conclusions qu’en tire la société civile.

Introduction

Antoinette Brouyaux

Les études d’impact des décisions sur le développement durable (EIDDD / DOEB en NL) dites « tests de durabilité » : nous les évoquons souvent dans des revendications adressées aux politiques, comme des aides au processus décisionnel dotées d’une assise légale et donc théoriquement obligatoires. Cependant cette procédure n’est jamais appliquée. Pourquoi ? Qu’est-ce qui « coince » ? Comment la société civile pourrait-elle s’emparer de cette méthode pour revendiquer plus de prise en compte des critères du développement durable dans les décisions politiques aux différents niveaux de pouvoir ?
Les associations se posent donc des questions sur les obstacles à la mise en oeuvre des EIDDD, sur le rôle qu’elles pourraient jouer pour que cette disposition soit réellement appliquée, et dans quelles conditions elle peut être opportune.

Quelques mots sur la procédure

Sophie Sokolowski

Quand on prend une décision, il faut voir …

  1. Si elle est exemptée de toute étude d’incidence (ex nominations).
  2. Si elle n’est pas exemptée, voir les impacts négatifs, nuls ou positifs.
  3. S’il apparaît qu’il y a seulement des impacts positifs, ça passe au Conseil des Ministres.
  4. S’il y a des impacts négatifs : il faut analyser les conséquences possibles. On doit alors délimiter les questions à se poser –> étude d’incidence, pour laquelle on fait appel aux fonctionnaires compétents s’ils ont l’expérience ad hoc, ou à des consultants externes si nécessaire. Si on est en amont de la décision, ça ne devrait pas être lourd.
  5. A priori quand on veut faire une étude d’incidence, on lance un marché public. Pas de recours prévu si l’étude réalisée est problématique.

Remarques

Le test est obligatoire depuis 2007. Chaque ministre qui introduit une décision au Conseil des Ministres doit en faire état. L’idée est fabuleuse : si l’EIDDD révèle des impacts inattendus, négatifs, autant trouver tout de suite des solutions, avant de mettre en oeuvre la mesure. La 1ère étape étant un quickscan, pour voir si une EIDDD est vraiment nécessaire, très vite c’est devenu la façon de faire : tout le monde remplit le formulaire de quickscan en bout de course en n’indiquant que des impacts positifs.

Donc depuis 2007, il n’y a pas eu de véritable EIDDD, soit aucune véritable étude d’incidence appelant un bureau externe. Le quickscan, lui, ne requiert pas une expertise approfondie.

Sur base de ce constat, cette année, le SPPDD réalise une refonte formelle des EIDDD (formulaires, présentation…) L’adoption commode de l’intitulé « test de durabilité » a conforté l’idée d’un « test » vite fait en bout de course. Il faut donc ré-insister sur l’importance de faire l’étude d’incidence dès le départ avec les experts ad hoc.

Tant que duraient les affaires courantes, il n’y avait pas beaucoup de décisions importantes, mais avec le nouveau gouvernement, c’est le moment de reparler des EIDDD. Un tour des cabinets est prévu, Sophie Sokolowski est déjà allée voir les présidents des différents SPF. Ils en comprennent tous l’intérêt et se disent d’accord de mettre des EIDDD en oeuvre, même sans injonction du Ministre. Exemple des déductions fiscales pour les panneaux photovoltaïques, qui servent surtout pour des résidences secondaires en Ardennes. L’EIDDD vise à corriger ce type de mesures, non à dire « on arrête tout ».

En 2010 la loi Développement Durable de 1997 a été revue –> les EIDDD sont ancrés dans la loi. Un AR était prévu pour le 24/10/11. Avec les affaires courantes ça a traîné mais le Conseil d’Etat revient à la charge.

Echéance d’oct. 2012 pour la Vision à Long Terme : des objectifs et des indicateurs sont prévus. Sur cette base, on pourra modifier les 33 indicateurs de l’évaluation d’incidence (10 sociaux, 10 environnementaux, 10 économiques, 3 de gouvernance).

Le SPF intégration sociale trouve qu’on n’insiste pas assez sur la pauvreté. Ils ont été sollicités pour aider le SPPDD à affiner les critères sociaux sur base du « plan pauvreté ».

Questions

 Q1: quid de l’évaluation des mesures déjà mises en oeuvre :

 R1: le but n’est pas d’évaluer après coup la qualité des services rendus par les administrations mais d’évaluer les décisions ex ante. Pour les services existants, il y a déjà le test Kafka.

Exemple de décision qui devrait être soumise à une étude d’incidence : la taxe sur les mauvaises graisses. Cette proposition va revenir sur la table du nouveau ministre.

L’erreur a été de vouloir imposer les EIDDD en général sans les tester au préalable. La Région Wallonne a déjà envisagé de mettre une telle procédure en oeuvre, mais par étapes.

 Q2: qui est chargé de faire l’EIDDD et avec quel accompagnement ?

 R2: aujourd’hui, le fonctionnaire gérant le dossier est chargé de remplir la grille. Quand il n’a pas la réponse, il doit demander à un collègue (de son administration ou d’une autre).

 Q3: quid de la nature politique des décisions ?

 R3: tous les partis politiques ont été informés et ont même voté, à une majorité de parlementaires, l’intégration des EIDDD dans la loi DD de 2010 ! L’outil est en ligne à présent, les parlementaires peuvent eux aussi relancer les ministres sur ce sujet. La mission du SPPDD vise les administrations.

 Q4: ne faudrait-il pas une commission indépendante qui vérifie si l’EIDDD est bien appliqué ? Un organe comme le CFDD. Sans contrôle, il y a peu de chance que ça fonctionne. Ex. à l’étranger.

 R4: aucun de ces exemples ne fonctionne bien. Cf : l’ex. du Comité Supérieur de Contrôle qui était trop performant –> il a été supprimé ! Une telle commission pourrait ralentir le processus. La Cour des Comptes peut jouer un rôle, mais on tenait plus compte de ses avis avant. On pourrait la re-légitimer avec les EIDDD. Il ne faut pas non plus faire de faux procès aux fonctionnaires. Leur objectivité est plus limitée par leur degré d’expertise que par leurs convictions politiques. Quant au ministre, face à ses collègues, il a besoin d’un dossier bien ficelé. Donc objectivement c’est utile. Le nouveau gouvernement est là pour 2 ans. Ça leur laisse peu de temps pour prendre des décisions mais essayons déjà comme ça.

 Q5: quel poids a l’EIDDD ?

 R5: si le Ministre passe outre, les autres ministres ayant accès au dossier, il y a un contrôle politique. Mais il s’agit avant tout d’éviter les effets négatifs qu’on a sous-estimés. Pourquoi le Ministre passerait-il outre ? Dans le cas où une étude d’impact relèverait une incidence telle qu’une loi soit remise en question, la pondération serait politique.

 Q6: c’est donc important de définir de bonnes balises pour les EIDDD. Comment ont-elles été définies ? Quid des critères environnementaux, sociaux, culturels et de genre ?

 R6: le CDU à Gent est parti de ce qui existait au niveau européen. Le test genre se fait à part, selon la volonté de Joëlle Milquet. Il aurait pu être intégré dans les EIDDD. Le SPPDD recommande que Ministères et Ministres décident d’avance sur quels dossiers des EIDDD seront faites.

 Q7: combien de quickscans sont réalisés chaque année ? Et quid du coût des études d’impact ? Quel budget ? Pourquoi ne pas intégrer le DD dans les études d’impacts prévues par ailleurs ?

 R7: le SPPDD manque de moyens pour faire un suivi statistique des procédures. Il est vrai qu’une vraie étude d’impact approfondie est coûteuse. D’où l’importance de sensibiliser les présidents de SPF de prévoir un budget pour les EIDDD.

 Q8 : quelle transparence sur les quickscans/EIDDD ?

 R8 : aucune. Cela avait été envisagé mais les responsables politiques l’ont refusée.

Débat

 Vincent Gérard : le politique reste le décideur. L’évaluateur n’a pas la légitimité politique. Il n’est pas facile d’évaluer les politiques publiques. Un indicateur peut mettre en avant une réalité et en masquer une autre. Enfin, quand on voit les rapports fouillés de la Cour des Comptes et ce qu’en font le politiques, il y a en effet un défi à faire passer l’importance des critères de DD auprès des politiques. Cf: ex. cité par Dennis Meadows (auteur du célèbre rapport de 1972, « Halte à la croissance »). Il montre à la salle 2 stylos. Lequel des 2 est le plus durable ? Réactions : spontanément on prend en compte les critères attachés à l’objet (matériaux etc), alors qu’un critère déterminant est la relation à l’objet (attachement sentimental qui lui donne une valeur, etc).
Sophie Sokolowski : ce 1er déc, le SPPDD organisait une conférence sur les achats durables qui a eu un franc succès. Il y a été dit que désormais il faut plus tenir compte des LCA (analyses du cycle de vie) des objets, les inclure dans les cahiers de charges. Cf: guide des achats durables.

 Brigitte Gloire : dans la coopération au développement, on est sensible aux évaluations et on les pratique depuis longtemps. Ex. de question : le projet est-il pertinent au regard de l’objectif ? Il existe déjà des typologies d’évaluations. Question sur le champ des indicateurs : quid de ce qui se passe hors de nos frontières ? Les EIDDD sont prévues pour le niveau fédéral. Ex. de l’éclatement de l’habitat avec le standard des maisons 4 façades : là ce sont les communes qui devraient faire l’EIDDD…

 Luc Lefèbvre : au niveau local il y a d’autres outils, ex les plans d’aménagement du territoire.

 Delphine Fontenoy : + tableaux de bord des Agendas 21

 Emmanuel D’Ieteren : au niveau régional on a transcrit la directive européenne environnement – toutes les politiques qui ont peut-être un impact environnemental doivent faire l’objet d’une étude d’incidence. Bref, les outils ne manquent pas, le problème, c’est plutôt leur intégration.

 Brigitte Gloire : concernant les mécanismes de développement propre, en Belgique on a mis en place des critères de durabilité –> pas de projet « grands barrages », ni biomasse, etc. Ça a été bien balisé, avec un représentant par groupe majeur. Résultat : vu ces critères plus stricts en BE, les entreprises sont allées acheter des crédits d’émission dans leurs succursales d’autres pays ! D’où l’intérêt de consulter les stakeholders.

 Sophie Sokolowski : c’est normalement prévu dans la procédure EIDDD mais il faudrait le tester…

 Jean-Philippe Remy : est-ce que les admin n’ont pas l’impression de « subir » cette obligation ?

 Sophie Sokolowski : non puisque personne ne l’applique. Certes, telle que réalisée maintenant, avec le quickscan en dernière minute, la procédure est plutôt subie. On reste dans la logique de justifier après coup.

 Jean-Philippe Remy : la relation à l’EIDDD pourrait être valorisée comme le générique d’un film… Pour passer outre la résignation. Cela permettrait de valoriser les impacts positif de la décision (et de l’EIDDD).

 Xavier Delwarte : dans le secteur agro-alimentaire, on peut trouver beaucoup d’exemples pour lesquels une EIDDD eut été utile, ex. produits bio, ou l’huile de palme –> quand on s’est rendu compte de son impact négatif, l’industrie n’est pas revenue pour autant à la matière grasse du lait. Ce marché là a été perdu alors que l’huile de palme n’était pas une bonne solution.

 Luc Lefèbvre : ex. des clauses sociales dans les marchés publics : pour inclure une dimension sociale, on confie les marchés publics à des entreprises qui n’ont pas les mêmes contraintes que d’autres car elles font soi-disant de l’économie sociale en exploitant des travailleurs défavorisés à moindre coût (activation/formation –> non respect des conventions collectives).

 Emmanuel D’Ieteren : c’est tout le débat sur le choix des indicateurs et l’objectif de ce choix, les enjeux.

 Koen Moerman : la manière d’utiliser les indicateurs est aussi déterminante ; dans un quickscan on coche des cases à la va-vite, dans une étude on fait des scénarios puis on évalue telle piste, c’est beaucoup plus intéressant.

 Brigitte Gloire : les meilleurs critères ou indicateurs ne résoudront pas tout. Ex de la directive sur les agrocarburants. Dès le départ le postulat était que la mobilité allait augmenter. Dès lors, on va devoir importer du carburant, même durable. La solution de fond serait évidemment de réduire la consommation de carburant.

Conclusions pour la société civile

 Antoinette Brouyaux: vu les résistances, l’enjeu est de montrer aux administrations que les EIDDD sont pour elles une aide, dans le cas par ex. de décisions politiques qui leur sembleraient absurdes ou mal venues (afin de les objectiver/améliorer…) et voir quelles seraient d’autres raisons de résistance ou de blocage.

Reste à définir ce que nous devons revendiquer sur ces EIDDD. D’abord, à quoi sert l’évaluation, qui évalue, comment on évalue ? L’évaluation sert à mesurer, porter un jugement et à décider. OK, mais les balises ne sont pas claires.

 Marc Otjacques : il y a même un danger : que les politiques disent « on a fait l’EIDDD » mais en le faisant mal et sans transparence. Si en plus le SPPDD a peu de moyens de suivi, cela pourrait être pire que de ne rien faire. La transparence doit être le critère minimum. (Q/R8) Sinon ceux qui questionnent les décisions n’ont pas ce qu’il faut en main pour le faire. Ex. l’opposition ou la société civile. Pour nous une EIDDD n’a de valeur que si c’est vraiment un outil de changement.

 Maxime Bacq : par rapport aux freins et aux éventuels risques d’instrumentalisation, on pourrait commencer par des tests pilotes dans les administrations…

 Vincent Gérard : si les résultats des tests étaient accessibles en ligne, en effet la société civile pourrait se l’approprier. Mais il faut questionner la transparence : que veut-on comme données ? Il y a des études rendues publiques dont personne ne tient compte, soit parce qu’elles ne sont pas appropriées ou du fait de l’indifférence générale. Les responsables politiques bougent sous la pression de la société civile.

 Luc Lefèbvre : il ne faut pas non plus réinventer la roue, cfr le cheminement d’une proposition ou d’un projet de loi, les attendus, les motivations… Concernant la pauvreté et l’inégalité sociale, ATD Quart-Monde a remarqué que les critères étaient discutables et sujets à interprétation : le service de lutte contre la pauvreté au Centre pour l’Egalité des Chances a-t-il été consulté ?

 Sophie Sokolowski : non, pour ces critères, le contact s’est fait avec le SPF intégration sociale. Le SPPDD attend leur réponse.

 Brigitte Gloire : le choix des indicateurs est très politique. Certains ménagent la pauvreté, d’autres comme l’indice Gini questionnent vraiment la répartition de la richesse.

 Marc Odjacques : nous n’avons pas le temps de passer toutes les lois au scan. Si cet outil existe et devient accessible, cela pourrait nous aider. On a donc intérêt à le promouvoir (non à y participer nous-mêmes car ce n’est pas notre responsabilité).

 Vincent Gérard : si on faisait des tests de tout, on ne ferait plus que ça. Le politique est dans l’urgence. Il existe déjà un service au Sénat qui évalue la qualité des lois. Ils n’arrivent pas à suivre.

 Antoinette Brouyaux : justement, n’y a-t-il pas trop de lois ? Grâce aux EIDDD, il y en aurait peut-être moins et elles seraient meilleures ! Il revient aux associations de faire pression en ce sens.

 Marc Gilson : en tout cas, les objectifs et la méthode d’évaluation devraient être définis correctement par la loi (comme le mètre « étalon »).
Brigitte Gloire : on pourrait faire l’exercice nous-mêmes sur un exemple de décision politique et aussi appliquer les EIDDD aux décisions de nos propres organisations. Les outils existent.

 Kaat Jans : les assocations ont déjà des grilles d’évaluation avec tous leurs projets, ex la FGF qui incite les autres associations à faire de même. Agissons, car c’est frustrant d’essayer de convaincre les gens avec des beaux discours. Les administrations elles-mêmes apprendront en pratiquant les EIDDD.

 Delphine Fontenoy : l’outil d’évaluation est chaque fois réadapté à la réalité sur laquelle on travaille pour être au plus proche. Trouver un effet néfaste est une chose, trouver la solution en est une autre.

 Sophie Sokolowski : d’où l’intérêt des scénarios et de s’entourer de cercles d’experts.

 Marc Otjacques : les experts sont souvent des universitaires. Dans l’associatif, on trouve des experts d’un autre genre qui devraient être plus souvent consultés ! Dans les incidences, il y a des choses qui jaillissent plus du vécu.

 Brigitte Gloire : c’est pourquoi dans les organes de consultation DD, aux côté d’académiques, on trouve les « groupes majeurs » (dont les associations), conformément à l’Agenda 21 de Rio (chap. 27).

 Marc Gilson : quid lorsque l’administration ne veut pas prendre en compte les inputs de la société civile ?

 Sophie Sokolowski : on peut alors s’adresser aux services de médiation ou de gestion des plaintes. Cfr www.ombudsman.be.