L’édition 2012 du Forum One People One Planet de Louvain-la-Neuve nous a permis d’expérimenter une méthodologie super-inter-active: le forum ouvert. Pendant 2 jours, nous étions tous experts et avons proposé 1001 réponses à la question: « quels changements individuels et collectifs sont-ils nécessaires pour changer nos rapports à la nature, à l’économie, à la société? »


300 personnes ont participé en tout ou partie au Forum OPOP 2012: participants, bénévoles, partenaires… Le programme était dense, la méthodologie dynamique. Nous avons ainsi pu expérimenter le « forum ouvert », qui permet à tous les participants de proposer des sujets à débattre, dans un espace de type agora où, sur de grands panneaux ad hoc, on peut aller afficher son sujet avec un système de post-it permettant de répartir les groupes dans des lieux et à des heures différentes, pour éviter les chevauchements.

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Dans chaque groupe, un rapporteur désigné assurait un compte-rendu synthétique (les « points saillants ») qui était illico ajouté aux autres dans un pot commun wiki désormais accessible en ligne.

On peut à présent y ajouter du contenu, des commentaires, créer des groupes de travail, bref prolonger l’aventure initiée à Louvain-la-Neuve les 24 et 25 août 2012.

Parallèlement à l’Agora, un séminaire en trois ateliers a fourni des propositions. Celles de l’atelier Entrepreneurs sont déjà en ligne, on attend les suivantes avec curiosité. On trouvera également bientôt sur ce site, des photos et des comptes-rendu de la conférence introductive d’Olivier De Schutter ainsi que du panel de clôture.

Bel effort de la part de l’équipe OPOP principalement composée de bénévoles, avec le support des permanents de la Maison du Développement Durable de LLN. Cette équipe prépare à présent une synthèse de l’ensemble du Forum et formule des propositions qui seront transmises à la presse et aux autorités.

Homo Consumens: du diagnostic aux solutions

Le coup d’envoi du Forum OPOP fut donné par Olivier De Schutter lors d’une conférence introductive sur le thème « Homo consumens ». Rebondissant sur la question du titre du forum « quels changements individuels et collectifs sont-ils nécessaires pour changer nos rapports à la nature, à l’économie, à la société? », Olivier De Schutter est parti du constat qu’en effet, on n’en est plus au diagnostic mais à la quête de solutions. On passe du « quoi » au « comment », c’est le temps de l’action.

Cependant, avant de démarrer les travaux, un diagnostic précis est nécessaire pour prescrire la cure. Car les impacts de la société de consommation ne sont pas moins importants que ceux de la production. Or cette société de consommation est une prison dans laquelle nous sommes piégés.

Pour comprendre comment fonctionne ce piège, Olivier De Schutter nous fait remonter à divers auteurs du début du XXe siècle qui ont analysé la composante culturelle du capitalisme libéral :

  1. En 1899, l’économiste norvégien américain Thorstein Bunde Veblen publiait « The Theory of the Leisure Class ».
  2. En 1900, le sociologue hétérodoxe allemand Georges Simmel publiait une « Philosophie de l’argent »
  3. En 1904 et 1905, le sociologue et économiste allemand Max Weber publiait « L’éthique protestante et l’esprit du Capitalisme » sous forme de deux articles…
  4. Enfin, en 1913, Werner Sombart publiait « Le bourgeois. Contribution à l’histoire morale et intellectuelle de l’homme économique moderne ».

Sur base de ces travaux datant de plus d’un siècle, on comprend mieux à quel point sortir de l’esprit capitaliste pose un problème d’action collective. Aucun ne peut le faire seul. Pourtant, comme l’explique Weber, l’individu n’est pas naturellement obsédé par l’accumulation matérielle. Celle-ci est une ascèse à laquelle il finit par sacrifier sa vie.

Dans cette rétrospective, un autre incontournable est Karl Polyani, avec sa « grande transformation » publiée en 1944. Et bien sûr Karl Marx qui avait déjà mis le doigt, au XIXe siècle, sur le risque couru par le capitalisme d’une crise liée à la surproduction s’il ne développait pas parallèlemt des marchés solvables. A présent nous sommes confrontés à une deuxième limite du capitalisme qui engendre une nouvelle crise, celle de l’environnement. En réalité, on a répondu au premier problème en accentuant le deuxième…

Comment rompre nos chaînes? Olivier De Schutter est convaincu que cela n’est possible que par des politiques redistributives, tendant à une égalité des conditions matérielles. Car il va falloir partager des sacrifices (« économie de guerre sans la guerre »). Les politiques doivent donc être vécues comme légitimes, en répartissant l’effort entre tous. Ce faisant elles retireront à la croissance sa légitimité dans la mesure où la croissance permettait de ne pas redistribuer les revenus en promettant un avenir toujours meilleur. Désormais, il va falloir favoriser l’inclusion sociale autrement.

Un deuxième chantier qu’entrevoit Olivier De Schutter est la politique du genre. Pour lui c’est le sujet le plus difficile à traiter. Là il reconnaît qu’il tâtonne. N’hésitons donc pas à lui envoyer nos suggestions! On peut déjà s’accorder avec lui sur le constat que la compétition économique récompense des attitudes et des comportements dits virils. Il ne s’agit évidemment pas de diaboliser la virilité et de sanctifier la féminité, il faut réifier ces concepts. Mais en tout cas il y a matière à questionnements pour changer le système.

Enfin, Olivier De Schutter évoque une politique de la socio-diversité telle que prônée par son collègue Christian Arnsperger: en matière d’alternatives, de modes de vie plus soutenables, de solutions locales à petite échelle, inutile de rappeler ici les exemples, nous les connaissons.

Et parce que tout est important, la légitimité de l’action locale n’enlève pas aux gouvernements leurs responsabilités. Ceux-ci peuvent :

  1. favoriser l’expérimentation en aidant les « ingénieurs sociaux » à surmonter les obstacles. Voilà qui nous rappelle les travaux de l’atelier innovation sociale de notre forum « En perspective de Rio+20 » du 6 mars 2012.
  2. assurer des incitants économiques qui récompensent les modes de vie sobres et encouragent l’innovation sociale (ex. la tarification progressive pour l’eau ou l’énergie, le partage d’équipements comme Cambio ou Villo…)
  3. évaluer systématiquement l’impact des politiques sur le développement durable à travers des indicateurs alternatifs au PIB. Ce sujet est également largement documenté.

En conclusion, faut-il souhaiter une transition patiente et lente ou une révolution radicale ? Piloter la transition, selon Olivier De Schutter, c’est rejeter cette dichotomie. Il s’agit d’orienter le changement sans connaître d’avance tous les détails, mais en sachant que tous les niveaux d’action importent. Cet art relève plus de la musique que de l’architecture: pensons à chacune des notes qui forment une partition…

Echos du forum ouvert

C’est en effet une fameuse partition qui s’est écrite au forum OPOP les 24 et 25 août derniers. Ainsi, Associations 21 a participé au débat « Quel avenir pour une presse libre? » pour ensuite proposer une rencontre avec des acteurs culturels sur la question des « petits lieux de diffusion » et sur celle de l’arbitrage du niveau sonore des événements musicaux. Nous avons ainsi saisi l’occasion d’associer des acteurs culturels à la réflexion sur les changements de société, qui a abouti à une autre réflexion, plus transversale celle-là, sur le conflit entre « petits » et « gros » acteurs dans différents domaines: médias, culture, agriculture, distribution…

« Petits contre gros: dépasser la fatalité »: ce débat a finalement permis de poser la question en d’autres termes, plus stratégiques, sur les atouts des petites structures et leurs spécificités, qui permettent notamment des formes de désobéissance civile complémentaires aux actions revendicatives visant les élites. On pense notamment ici aux normes de l’AFSCA édictées pour et par les industriels de l’agriculture et totalement inadaptées aux petits acteurs. Dans le domaine médiatique, c’est la course à l’audimat qui va être contournée par les médias alternatifs et le bouche-à-oreille.

Ces pratiques de l’ombre nécessitent beaucoup d’opiniâtreté et de cohérence. Mais tandis que certaines disparaissent, d’autres émergent : ainsi, les activistes d’aujourd’hui vont recharger leurs batteries dans leur « tribu » en étant membre d’un GASAP (groupe d’achat solidaire de l’agriculture paysanne) et en fréquentant le petit lieu de diffusion de leur localité. C’est ainsi qu’on assure une « socio-diversité » garante d’une société résiliente. Voilà qui doit être également compris par les responsables politiques !