Le vendredi 20 avril 2012 à Namur, Associations 21 a participé au forum des parties prenantes en prévision de Rio+20, à l’invitation du Ministre Jean-Marc Nollet. Voici le texte préparé en vue de notre intervention dans le panel de la matinée, en complément du plaidoyer de la Coalition Belge Rio+20.


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Rio+20: avis des membres d’Associations 21

Notre vision de l’économie verte

Définition

Le concept d’économie verte est critiqué par le secteur associatif parce qu’en général, il est présenté sans aucune prise de distance par rapport au capitalisme et au mythe de la croissance (« pour prôner une croissance infinie dans un monde fini, il faut être fou, ou bien économiste »…). Le problème est surtout d’apposer les mots « économie » et « vert » sans référence au troisième pilier du développement durable, le social. Les négociateurs à l’ONU ont bien ajouté « dans le contexte du DD et de la lutte contre la pauvreté » mais il n’empêche que quand on dit « économie verte », le social n’y est pas.

L’expérience des mouvements sociaux est en effet que dans les processus de développement durable, le pilier social est souvent le parent pauvre, tant sur la forme (participation) que sur le fond. Il faut donc le remettre au centre ! Par exemple en associant systématiquement le concept d’« économie verte » à celui de « transition juste ». En vue de Rio, cette préoccupation s’exprime aux différents niveaux de pouvoir jusqu’au niveau mondial. D’où l’enjeu de conserver dans les textes en négociation, le terme « equity » que d’aucuns voudraient remplacer par « inclusion ». L’équité doit être combinée aux changements dans les modes de production et de consommation qui, jusqu’ici ont surtout contribué à accentuer les inégalités et àdégrader l’environnement.

C’est ce qui nous amène à prôner un changement de paradigme vers un monde durable, comme le souligne le plaidoyer de la Coalition Belge Rio+20, qui réunit les syndicats et les ONG francophones et néerlandophones en Belgique. Dans les pays industrialisés (et chez les élites des PeDs), le défi est de changer radicalement notre modèle de croissance et les politiques qui le soutiennent. Au Sud (mais aussi pour les exclus de nos pays développés), il s’agit de garantir la réalisation des droits socio-économiques pour tous, soit un Indice de Développement Humain (IDH) supérieur à 0,8. Pour ce faire, il faut mieux répartir les ressources et préserver un droit d’usage équitable sur les « communs » : eau, écosystèmes, etc.

Les principes de justice sociale et les systèmes politiques visant un indice gini minimal (indice qui mesure les inégalités) au travers par exemple de la progressivité de l’impôt, d’un système de sécurité sociale performant et de l’arrêt de la surconsommation, doivent être combinés à des politiques nous ramenant en dessous de la biocapacité terrestre.

Cela revient aussi à rétablir la cohérence dans nos politiques, nos pratiques et nos comportements et à évaluer à l’avance l’impact de ceux-ci sur le développement de tous partout dans le monde. Ainsi, en Région Wallonne, on a favorisé le commerce extérieur, les agrocarburants, les aéroports low costs, les achats de crédits carbone par nos entreprises, les importations de soja par le secteur de l’élevage industriel…De tels choix ont un impact négatif (direct ou indirect) sur les pays en développement et sur l’environnement. Ce genre d’impact devrait être évalué avant toute prise de décision afin qu’il y ait une réelle pondération entre les critères sociaux, environnementaux et économiques.

Pour garantir une plus grande cohérence de l’ensemble des politiques autour du développement durable, on parle au niveau international de procédures « no harm » permettant d’éviter des politiques /mesures contradictoires (ex : une politique climatique Belge ou Européenne induisant des accaparements de terres et une augmentation nette de GES hors de nos frontières). Il s’agit aussi de systématiser les études d’impact (EIDDD) des politiques commerciales, financières, agricoles, climatiques, de coopération, etc, sur le DD et les objectifs déclarés de lutte contre la pauvreté.

Dans l’immédiat

Evitons d’abord de laisser disparaître des emplois durables, par exemple dans le secteur agricole et plus particulièrement de l’agro-écologie : dans ce secteur pourtant populaire et porteur d’emplois, on voit encore chaque année des fermes disparaître, 1200 en moyenne par an en Belgique, au profit d’une industrialisation rampante. Notre pays figure ainsi dans le triste trio de tête du pourcentage relatif de disparition de fermes le plus important en UE… L’accaparement des terres, ce n’est pas qu’un problème au Sud, ici aussi le prix des terres empêche des jeunes d’accéder à la profession. C’est pourquoi, à l’instar de l’alliance emploi-environnement dans le secteur de la construction, il est urgent de lancer une AEE dans le secteur agricole, dans une perspective de souveraineté alimentaire et en rapprochant producteurs et consommateurs. On cite souvent l’exemple des circuits courts mais beaucoup reste à faire pour rompre le « plafond de verre » qui maintient de telles solutions dans leur « niche ».

D’une manière générale, nous sommes favorables à toute activité économique qui permet une orientation de la société dans son ensemble, vers des changements de modes de consommation et de production, pour autant que cette activité offre des conditions de travail non seulement décentes mais surtout respectueuses des conventions collectives des secteurs concernés : soit en évitant les statuts précaires sous prétexte d’insertion ou toute autre forme d’exploitation de l’humain ou de l’environnement. Il s’agit bien de lutter contre les inégalités, or l’accent est mis systématiquement sur la lutte contre la pauvreté : le problème n’est-il pas plutôt que les richesses sont mal réparties ? L’emploi reste le meilleur moyen de les répartir mieux.

Nous attendons donc beaucoup de l’alliance emploi-environnement que la Région Wallonne a lancé dans le secteur de la construction, et nous nous concertons entre associations sur les modalités de sa mise en oeuvre, avec une attention particulière pour les normes sociales, entre autres critères de durabilité.

Vision prospective

Associations 21 et son homologue flamand VODO ont réalisé fin 2011 un exercice prospectif sur la société durable telle que nous la souhaitons en 2050, dans le cadre de l’élaboration d’une vision à long terme du développement durable au niveau de la Belgique Fédérale. Basé sur une méthodologie originale, l’exercice s’est avéré stimulant. Il pourrait facilement rebondir dans le cadre wallon (cfr rapport « Télescope »).

A terme, nous proposons de parler d’une Wallonie durable plutôt que d’économie verte. Ceci pour qu’il soit clair pour tout le monde que l’économie est un outil au service du bien-être de tous dans le respect des limites planétaires et dans la perspective d’une réelle intégration des piliers du développement durable. En tout cas, il faut dépasser le green washing ou l’adjonction d’un peu de vert dans l’économie et viser un changement de société afin de remettre au centre les questions de durabilité, en systématisant l’analyse transversale, tant dans le travail au sein du gouvernement wallon que dans toute communication aux parties prenantes & aux médias.

Pour ce faire il est temps d’adopter des indicateurs et méthodes ad hoc et travailler au niveau wallon sur un test de durabilité qui tienne la route. Au niveau fédéral, une telle procédure appelée « étude d’impact des décisions sur le développement durable », EIDDD, a été introduite légalement mais on voit que sa mise en oeuvre ne va pas de soi.

En Wallonie, Associations 21 a déjà relevé, dans des interpellations au gouvernement, que de telles études d’impact devraient être faites pour le plan HP ou les compteurs à budget. Pour ces exemples précis, nos membres ont constaté et signalé des problèmes sur le terrain mais ce type de test devrait être systématisé avant toute prise de décision (qu’il s’agisse de transport, de finances…) en tirant des leçons des difficultés constatées au niveau fédéral pour adopter des procédures plus fonctionnelles en RW.

Nous sommes également en faveur d’une refondation du pacte social en permettant à la diversité associative de s’exprimer et d’être valablement prise en compte, y compris dans les débats sur l’économie et l’emploi, en prenant en compte l’avis des plus pauvres, des plus précaires, car ce qui est acceptable pour eux l’est pour toutes et tous.

Des démarches de type « Alliance Emploi Environnement » pourraient être préparées sur le terrain de façon concertée avec la diversité associative, dans d’autres secteurs : agriculture, valorisation des déchets, services aux personnes, culture. A ce sujet, signalons les initiatives déjà prises au niveau fédéral avec le réseau des festivals durables ou en Région Flamande (arène de la transition « eco-cultuur »). Le secteur culturel est souvent oublié des débats DD. On y trouve pourtant beaucoup de gens motivés par ce projet de transition vers une société durable. Il y a aussi les entrepreneurs dits « sociétaux » et les réseaux qui les regroupent. Tout le monde gagnerait à ce qu’ils puissent participer plus activement aux débats sur la réorientation d’activités industrielles actuellement en difficulté, en Wallonie.

Sommet de Rio+20

Nos attentes

Depuis le Sommet de la Terre de 1992 à Rio, nombreux ont été les efforts pour décliner le développement durable (social, économique et environnemental) à tous les échelons politiques : de l’international (dans la déclaration de Rio) au local (agendas 21) en passant par le national (plans pour le développement durable). Cependant, ces efforts sont neutralisés par de fortes régressions, tant au niveau social qu’écologique. En l’occurrence, trois éléments du contexte ont beaucoup évolué après RIO et Jo-burg :

 l’état de l’environnement, et en particulier le dépassement de la biocapacité terrestre et l’explosion des émissions de gaz à effet de serre, vu l’explosion de la production de richesses. L’empreinte écologique des habitants des pays industrialisés a augmenté elle aussi. On se rend compte que les innovations technologiques ne règlent pas tout, du fait de l’effet rebond.

 la mondialisation des échanges facilitée par la libéralisation et la non internalisation des coûts sociaux et environnementaux

 l’affaiblissement du pouvoir des Etats à garantir la réalisation des droits fondamentaux et à réguler l’exploitation des ressources naturelles.

Le renouvellement de l’engagement de tous les pays, attendu à Rio, doit donc être basé sur l’analyse approfondie des causes de la non soutenabilité de notre modèle, sur plus de justice sociale dans la redistribution de la richesse produite et sur une diminution drastique de l’empreinte écologique des pays industrialisés.

Le thème de la conférence de Rio 1992 était l’environnement et le développement. En 2012, il s’agit toujours de garantir le droit au développement pour la majorité des habitants de la planète tout en diminuant drastiquement la pression que nos modes de production et de consommation actuels font peser sur les ressource naturelles.

Nos engagements

En 2012, les ONG veillent tout d’abord à ce qu’on ne retourne pas en arrière par rapport aux principes adoptés à Rio en 1992, cfr pétition « Rights at risk » d’ONG internationales qui ont été témoins d’attaques de certains de ces principes lors des dernières négociations, en mars à New-York, sur le zéro draft de la Déclaration de Rio 2012, « The future we want ». Ainsi, elles ont constaté que certains pays tentent de remettre en cause des principes tels que le principe de précaution, celui du pollueur-payeur, ou de la responsabilité commune mais différentiée (CBDR – on ajoute parfois RC pour « respective capabilities »). Ces principes ne sont pas nécessairement remis en cause formellement mais plutôt à travers les obligations qu’ils entraînent en termes de droits humains pour l’accès à une alimentation saine, à l’eau potable, etc.

Les organisations de femmes sont, elles, particulièrement attentives à ce que ne soit pas remis en cause le chapitre XXIV de l’Agenda 21 de Rio 92 qui concerne la participation des femmes aux politiques de développement durable. Les organisations de jeunes sont également très actives.

De leur côté, les ONG nord-sud insistent surtout sur les aspects « équité » et « cohérence », et demandent que le principe de précaution soit appliqué plus strictement aux nouvelles technologies.

La Coalition Belge Rio+20 revendique enfin une réforme du système financier et économique international pour réguler et interdire toute spéculation, éradiquer les paradis fiscaux, garantir une juste redistribution des richesses, un impôt juste sur les bénéfices des sociétés et un système de rapportage financier pays par pays et projet par projet afin d’impliquer les grands acteurs.

Nous rappelons ce dernier point car à Rio, il sera beaucoup question des « sustainable development goals » (SDG). Nous sommes bien sûr favorables à ce que des SDG soient négociés ces prochaines années pour s’incrire dans la foulée des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) à partir de 2015, mais nous ne voulons pas que dans le même temps, les institutions financières internationales continuent d’utiliser leurs propres critères en ignorant ces SDG.

Signalons enfin que le lobbying des multinationales visant à limiter la prise en compte de leurs propres responsabilités dans la multiplication des crises systémiques, est dénoncé par les ONG internationales dans une pétition intitulée « Reclaim the UN from corporate capture ».

Voici la teneur du message que nous adressons au Gouvernement Wallon.

Autres positions concertées des membres d’Associations 21 :

 Renouveler nos engagements : pour une société réellement soutenable, OK: input d’associations 21 au zéro draft du document final de rio+20 (fin oct 2011)

 Compte-rendu d’un échange croisé organisé par Associations 21 sur les « Tests de durabilité » (déc 2011)

 « Pour un système alimentaire durable : position paper des membres d’Associations 21 »: dernière édition, 15 octobre 2011
 

 « Perspective : un nouveau pacte social » : extrait de la publication “Regards croisés sur le développement durable (janvier 2011)

 « Economie sociale : résistance ou résignation ? », article de Luc Lefèbvre, 2010.

« Télescope : quand la société civile imagine une société durable en 2050 », rapport publié en mars 2012, Associations 21 et VODO (publication imprimée disponible sur demande)

Contact :
Antoinette Brouyaux, Associations 21 antoinette@as21.be – http://www.associations21.be/
c/o Mundo-B, rue d’Edimbourg, 26 – 1050 Bruxelles – Tél. 32/2/893.09.40 – 0472/27.51.62