Cette carte blanche de notre collègue Olivier Vermeulen “La dette grecque, un enjeu climatique?” est parue dans la version papier de La Libre du 7 juillet 2015. Associations 21 la met à votre disposition en ligne.


La Grèce, grand sujet du moment dans tous nos médias. Les différentes théories économiques s’affrontent (et continueront dans les mois qui viennent) pour tenter d’expliquer si le oui ou le non était la meilleure solution. Mais avons-nous les outils économiques pour comprendre ce qu’il se passe réellement dans notre société ?

Avant d’aborder les conséquences du oui ou du non, prenons quelques instants pour s’accorder sur ce dont il s’agit. Le Grecs doivent rembourser la dette ; elle est légitime pour les uns car le peuple grec n’aurait pas assez contribué au budget de l’état, elle paraît illégitime pour les autres car résultante d’un accord déséquilibré entre la Grèce et ses créanciers. Mais qu’est-ce que la dette ?

Comme l’a très bien expliqué Mr. Varoufakis, ex ministre des finances grec, pendant la session plénière organisée le 8 juin dernier à Berlin par la fondation Hans Böckler à propos du « futur de la Grèce dans l’Union Européenne »[[youtube.com/watch?v=jH5Yv7iwfhs]]; quand il y a une dette, il faut faire croître son économie pour pouvoir la rembourser. Une dette est donc une promesse de croissance économique (sur un certain laps de temps à définir lors de l’élaboration du contrat) afin de rembourser celui qui a prêté avec un intérêt.

Outre la question de la légitimité de la dette, le débat entre les différentes théories économiques aborde principalement une question : comment assurer une croissance suffisante pour la Grèce afin qu’elle puisse rembourser ses créanciers ?

Pour croître, il faut produire et s’il y a une chose sur laquelle les économistes s’accordent en grande majorité depuis les équations de Cobb et Douglas en 1928[[fr.wikipedia.org/wiki/cobb_douglas]] c’est que la production découle de deux facteurs, le capital et le travail. On peut débattre longuement sur la part du capital et du travail dans la croissance, mais n’y aurait-il pas un (ou plusieurs) oublié(s) dans les équations de Cobb-Douglas ?

De nouvelles études à propos de la croissance nous démontrent aujourd’hui qu’un élément a effectivement été largement sous-évalué dans celle-ci, l’énergie. Gaël Giraud, économiste CNRS à Paris, nous rappelle d’ailleurs que « le vrai rôle de l’énergie va obliger les économistes à changer de dogme »[[petrole.blog.lemonde.fr/2014/04/19/gael-giraud-du-cnrs-le-vrai-role-de-lenergie-va-obliger-les-economistes-a-changer-de-dogme/#more-10535]]. Ce serait en fait la possibilité d’augmenter notre consommation énergétique qui permettrait de croître économiquement et donc de rembourser la dette.

Le cas de la Grèce ne serait en fait qu’un symptôme du réchauffement climatique ? Je m’explique… Pour éviter un réchauffement climatique insoutenable il est aujourd’hui indispensable de diminuer les gaz à effet de serre, émis principalement par notre consommation d’énergies fossiles. Celle-ci représentant 80 % du mix énergétique mondial, il n’est pas possible de préserver le climat sans diminuer notre consommation énergétique, entraînant, vous l’aurez deviner, une décroissance économique.

De cet angle de vue, la dette grecque s’inscrit dans un enjeu global. Le climat étant une réalité physique qui nous touche tous, la croissance économique générée pour rembourser la dette publique ne fait qu’aggraver la vraie dette, celle du capital naturel, pour reprendre les mots de Thomas Piketty[[Interview récente de Thomas Piketty par Reporterre : www.reporterre.net/La-dette-publique-est-une-blague-La-vraie-dette-est-celle-du-capital-naturel]].

Si les réalités physiques et climatiques nous empêchent de rembourser la dette publique (légitime ou non), qu’avons-nous comme solution ? Dire « oui » aux créanciers signifie maintenir les politiques actuelles qui permettraient peut-être de rembourser la dette, mais augmenteraient assurément les catastrophes environnementales (et sociales) et imposeraient une dette écologique encore plus grande pour les générations futures. Dire « non » permettrait de faire le choix d’une politique améliorant les réalités sociales tout en étant consciente des défis environnementaux qui nous attendent.

Les Grecs ont voté majoritairement « non » car les conséquences sociales du modèle économique inspiré par l’idéologie à la croissance ne sont plus tenables. Il s’agit aujourd’hui d’oser prendre les mesures nécessaires pour assurer à tous un accès aux besoins minimaux tout en diminuant progressivement notre empreinte écologique. Il n’y a donc qu’une solution pour répondre à ces deux enjeux : les revenus les plus élevés doivent diminuer afin de réduire les inégalités (par le haut et non par le bas) sans réchauffer davantage notre climat.

Et vu que cette diminution de pouvoir d’achat ne concerne que les 5 % les plus riches, cela ne devrait pas poser de problème dans une Europe réellement démocratique !

Olivier Vermeulen, ingénieur civil, termine actuellement un certificat d’éthique économique et sociale à la chaire Hoover (UCL).