Ce débat avec des acteurs qui développent des initiatives locales ou régionales alliant le social, l’environnement et l’économique sur le terrain a eu une fonction quasiment thérapeutique le 19 juin 2012, juste après l’annonce par la Présidence Brésilienne que le texte – fort décevant – issu des négociations du Sommet Rio+20 était scellé. Au moins, sur le terrain, on s’engage concrètement dans une transition vers une société durable ! Et l’héritage de Rio-1992 constitue un socle commun et un lien entre ces initiatives…

Introduction du Ministre Jean-Marc Nollet

Le gouvernement Wallon ayant lancé début 2012 sa première Alliance emploi-environnement (« Green Job Pact » pour la traduction) Rio constitue une occasion de partager cette expérience avec des acteurs d’autres régions du monde (politiques, ONG, syndicats,…) ayant mis en œuvre des politiques & actions pour lesquelles la préservation de l’environnement & des ressources naturelles, n’est plus vue comme un contrainte mais comme une opportunité de développement socio-économique.

Ces expériences témoignent qu’il ne s’agit pas là d’une approche de « riches » et qu’il est possible de mener ce type de politique dans des contextes socio-économiques et culturels parfois radicalement différents. Nous aimerions en tirer des enseignements, identifier des bonnes pratiques et les synergies possibles, les passerelles existantes et pourquoi pas envisager des partenariats.

L’objectif est de tracer un chemin nous permettant de traverser cette crise qui est à la fois culturelle (où va-t-on?) et matérielle: pour ne citer qu’un exemple, depuis 1990, 300 millions d’hectares de forêts ont été perdus dans le monde! D’où l’importance de la notion de résilience.

Le défi est avant tout social: il s’agit de créer des emplois de qualité et porteurs de sens, qui permettent à la créativité de chacun de s’exprimer pour favoriser l’innovation. La solidarité à déployer est triple: dans le temps (générations futures), l’espace (planétaire) et inter-personnel, en n’oubliant personne, y compris les plus faibles.

L’environnement, ce sont nos ressources et l’économie est un moyen et non un but en soi. C’est pourquoi l’économie doit être inclusive et écosystémique. Ainsi, il n’y a pas de croissance infinie dans un monde fini. Dès lors, pourquoi ne pas mieux répartir l’emploi?

Le plan Marshall 2.Vert prévoit 25% du budget de la Région Wallonne pour assurer cette transition (et non une « relance »). Les Alliances emploi-environnement offrent un cadre structurant et permettent de travailler sur la demande, l’offre et la formation. La première alliance, scellée le 9 février 2012, vise le secteur de la construction et de la rénovation durable. Il y a beaucoup d’emplois dans ce secteur. Le but est d’améliorer la qualification des travailleurs. Pour cela, il faut notamment former des formateurs! Pour la demande, sachant qu’une maison sur deux date d’avant 1945 en Wallonie, on comprend l’importance de favoriser une meilleure efficacité énergétique, via des primes, prêts à taux zéro et autres mesures parmi les 50 prévues visant les particuliers. Ces mesures ont été décidées avec les partenaires de l’AEE construction et d’autres AEE sont prévues.

La diminution de la consommation énergétique est un enjeu à la fois social, environnemental et économique. N’ayons pas peur de parler de « suffisance » (sufficiency)! (NDLR: la délégation belge déplorant que ce terme ne figure pas dans la déclaration de Rio+20).

Témoignages des différents intervenants

Esther Penunia, Secrétaire Générale de L’Asian Farmers Association for Sustainable Rural Development (AFA), nous parle des actions menées par celle-ci pour défendre le droit à l’éducation, au bonheur, à la paix et à la prospérité. Cette association refuse la fatalité de la faim et de la misère. Or c’est encore trop souvent le lot des paysans, des femmes en particulier, qui sont plus souvent marginalisées, ayant moins d’accès aux terres. Dans les années 90, ses membres ont connu la fameuse « révolution verte » intensive en produits chimiques. Ceux-ci ont détruit les sols et créé des situations d’entettement inextricables menant trop de paysans au suicide. C’est pourquoi l’Asian Farmers Associations soutient les expériences de production et de consommation durable qui permettent de recréer beaucoup d’emplois dans les fermes…

Jacques Parent, délégué à l’économie plurielle, représente le conseiller régional Damien Carême de la Région du Nord-Pas-de-Calais. L’économie plurielle concerne à la fois le secteur privé, le public et l’économie sociale (ES). L’ES, en France, ce n’est pas un gadget: ça représente 2,5 millions de travailleurs, soit 10% de l’emploi ! Pour entreprendre autrement, soit pour autre chose que faire de l’argent. Quant aux services publics, il souligne leur importance à tous les étages. Ainsi, dans le Nord-Pas-de-Calais, 60% du budget régional est consacré à l’action sociale et depuis 10 ans, on développe des agendas 21 départementaux. L’enjeu est de taille: en France, 75% des achats publics émanent des collectivités locales! Dans ce contexte, la contrainte environnementale est effectivement considérée comme une opportunité. Ainsi, une taxe sur les espaces naturels sensibles a permis d’acquérir des espaces et de créer des emplois pour les gérer et les gardienner. Ces agendas 21 ont aussi permis l’établissement de plans départementaux d’itinéraires de randonnée, des mesures pour valoriser le paysage, des activités d’éducation…

Mamadou Goita, Secrétaire exécutif du Réseau Des Organisations Paysannes et des Producteurs de l’Afrique de L’Ouest (ROPPA) pointe l’importance de la souveraineté alimentaire. Les alternatives agro-écologiques développées par son réseau visent à consolider l’économie locale. Rien qu’au Mali, le potentiel d’emplois agricole se chiffre à 3.200.000 emplois! Exemples de ce qui se fait déjà: la production par des jeunes de biopesticides, et par d’autres d’amendements pour sol avec du compost. L’agriculture urbaine se développe. « Restaurer l’environnement, c’est ce que nous avons fait pendant des années », dit-il. Ainsi au Burkina Faso, l’agro-foresterie a permis de combiner la production de miel à la restauration des sols en plantant des arbres mellifères dans les champs. Leur organisation renforce aussi les liens entre éleveurs et agriculteurs et dynamise l’artisanat agricole.

Pooran Desai présente Bioregional (UK), entreprise sociale dont il est le directeur, qui développe des activités professionnelles soutenables avec des partenaires du monde entier pour démontrer qu’un futur soutenable est attractif et abordable. Ce travail est basé sur l’expérience pratique délivrée par des projets mis en oeuvre dans la vie réelle. Ainsi, lui-même vit dans l’éco-village Bedzed au sud de Londres. Il nous parle aussi d’une expérience selon laquelle des personnes ayant renoncé à leur voiture ont perdu… Jusqu’à 25 kg de sur-poids! Bel argument pour la mobilité douce!

Moussa Sinon est un délégué-jeunesse de l’ Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Cette organisation est particulièrement attentive à la participation des jeunes, les moins de 25 ans constituant 60% de la population de ses pays membres! C’est dire si l’avenir de la francophonie se joue dans le Sud. Beaucoup de ces jeunes sont engagés socialement à défaut d’avoir un réel emploi. Pour répondre à leurs besoins d’éducation non remplis par le cadre scolaire (ce qu’on appelle dans le jargon onusien l’éducation informelle, promue par les jeunes à Rio+20), des écoles d’été ont été organisées au Burkina et au Niger, dispensant des formations ciblées sur l’entreprenariat social, qui abordent aussi les questions environnementales. L’OIF agit aussi globalement pour favoriser la jonction entre les jeunes organisés et les structures nationales de développement durable des pays concernés. Ainsi, au forum de Niamey, les jeunes ont présenté leurs initiatives d’emplois verts…

Associations 21, l’aiguillon de service!

Il revenait ensuite à Antoinette Brouyaux de réagir aux propos entendus en saluant tout d’abord le dynamisme des acteurs du développement durable actifs sur le terrain pour créer des emplois. En rappelant ensuite l’importance du dialogue avec les personnes directement concernées, en particulier les plus pauvres, et du respect des conventions collectives quand on sait que 60% des travailleurs dans le monde n’ont pas un réel contrat d’emploi, soit parce qu’ils ou elles sont indépendants ou bien travaillent dans ce qu’on appelle pudiquement le travail informel… Qu’un travail décent c’est aussi en effet un travail qui a du sens, et que si la crise est culturelle, il faudrait aussi creuser cette dimension, notamment pour ne pas nous laisser enfermer dans une vision utilitariste de l’environnement, considéré uniquement comme ressource au service des humains.

N’ayons pas peur de la vision holistique de « Pachamama », mère terre, portée au plan mondial par les mouvements sociaux latino-américains et les peuples indigènes : c’est un des seuls acquis de la déclaration de Rio+20 ! Cette vision est un bon antidote à la dérive possible de la financiarisation des ressources, que nous préférons considérer au titre de biens communs. Parmi ceux-ci, les terres arables objet de toutes les convoitises, et dont les agriculteurs sont les premiers gardiens, d’où l’enjeu de l’agro-écologie. En Wallonie, de nombreuses associations sont engagées dans des démarches similaires à celles décrites par les représentants des associations d’agriculteurs asiatique et africaine pour promouvoir les pratiques agricoles durables à travers notamment des circuits courts qui renforcent la solidarité entre producteurs et consommateurs. Mais au rythme où les paysans disparaissent en Belgique au profit de l’agro-business, et pour permettre d’agir plus largement sur l’offre et la demande, il est urgent de lancer une AEE dans ce secteur clé en termes de souveraineté alimentaire.

Concernant l’AEE dans le secteur de la construction, on constate que des mesures prévues au départ pour des ménages défavorisés leur échappent car en vue d’atteindre rapidement des résultats, on élargit certains critères d’accès à des incitants.

Les associations francophones veulent aussi soulever l’intérêt d’échanges d’expériences entre AEE wallonne et bruxelloise pour mutualiser les expertises et les outils, et l’importance de l’innovation sociale qui prend elle aussi du temps: celui de l’expérimentation dont on ne peut pas toujours prévoir d’avance le résultat…

Echanges et conclusions

 Une jeune canadienne qui était présente au forum de Niamey pose la question du financement des projets présentés par les jeunes. Où en est-on?

 Un jeune Burkinabé souligne que le développement solidaire, c’est aussi assurer la durabilité du développement: que celui-ci ne soit pas précaire! En 20 ans, tant de choses ont reculé…

 Un ressortissant de Djibouti préconise une démarche intégrée plutôt que d’agir au cas par cas.

 Daniel Van Daele, de la FGTB, souligne l’importance d’une démarche d’adhésion des travailleurs comme des citoyens dans des initiatives comme les AEE. Qu’il s’agisse d’économies d’énergie ou de circuits courts, en veillant à l’adhésion de toutes et tous, on évite les effets pervers de politiques bien intentionnées. Exemple: les rénovations qui provoquent une hausse des loyers marginalisant encore plus les plus pauvres. D’où l’enjeu de réguler les loyers…

Dans ces échanges, Jean-Marc Nollet voit des convergences possibles et il lui semble que les régions sont la bonne échelle pour repartir de l’avant, après Rio+20. Les AEE sont une initiative parmi d’autres. Cette méthodologie est structurante et participative. C’est vrai qu’elle prend du temps. En Wallonie, on a pris le temps de mettre à plat les difficultés. Le partenariat avec entreprises et syndicats, en associant l’économie sociale, n’était pas gagné d’avance ! En même temps, investir dans la jeunesse, c’est gagner du temps. C’est pourquoi le Ministre souhaite soutenir financièrement des processus de type AEE dans des pays en développement, selon la demande… Un budget est prévu pour cela !