Le 22 juin 2012, tandis que le sommet officiel Rio+20 se terminait, un débat en marge de celui-ci faisait encore salle comble : il y était question d’innover dans le financement de l’aide publique au développement. Or ce 5 novembre 2012, on apprend que parmi les coupes opérées dans le budget 2012 par le gouvernement Di Rupo, l’aide au développement devrait se trouver réduite de € 400 millions… C’est le moment de ressortir les notes prises à Rio !

Dernières nouvelles du front

 Communiqué de la plate-forme Stop Famine 1212: “Deux millions de vies pour combler le budget”

 Communiqué CNCD du 5/11/12: 400 millions en moins pour la coopération au développement!

 Dans Le Vif du 6/11/12: “Budget : Magnette réclame de la cohérence pour la Coopération au développement”

Le débat sur les financements innovants pour le développement à Rio

Les menaces pesant sur l’aide publique au développement ne datent pas d’hier. Les besoins se faisant plus pressants, les institutions onusiennes cherchent des financements innovants ! Un Groupe Pilote regroupant 63 membres (Etats, organisations internationales et ONG), a déjà organisé plusieurs réunions de haut niveau en marge de conférences et Sommets des Nations Unies (PMA, 2011; OMD 2010; Doha 2008).

Un exemple de financement innovant? La taxe sur les transactions financières! À Rio+20, nous nous sommes donc penchés sur le potentiel des financements innovants pour chaque dimension du développement durable (sociale, économique et environnementale), en compagnie notamment de Paul Magnette & d’Eva Joly.

Qu’a dit Paul Magnette du financement du développement à Rio?

 Que ce qui figure dans la déclaration finale de Rio à ce sujet n’est pas suffisant. Une série d’initiatives ont été lancées ces dernières années. Il faut maintenant consolider ce qui existe, faire converger les différents financements innovants et leur donner un véritable poids structurel.

 Le ministre a délivré trois messages de la Belgique à Rio :

  1. le plus important est d’assurer que nos engagements de financements internationaux puissent se baser sur des sources de financement propres: ex. Des taxes globales sur les transactions financières, sur les émissions de CO2, sur les billets d’avion, sur les matières premières. La Belgique a été pionnière en votant une loi sur les transactions financières. Elle fait à présent partie des 40 pays qui la promeuvent. C’est une loi symbolique dans une union monétaire : les autres doivent faire pareil. Nous appuyons donc l’adoption d’une telle taxe au niveau européen.
  2. Il faut garantir que ces financements seront affectés à des biens publics globaux. Dans un contexte de contraintes budgétaires, c’est important. Une part de la mise aux enchères des ETS (emission trading systems) européennes doit être affectée aux pays en développement. La Belgique attribue 20% des revenus de la Loterie Nationale au Fonds belge pour la sécurité alimentaire.
  3. Il faut orienter ces financements vers le développement durable. Et construire une véritable architecture de financement. Il y a quelques mots à ce sujet dans la déclaration de Rio. Il faut s’y mettre dès demain et faire en sorte que la prochaine assemblée générale des Nations Unies ait parmi ses réalisations la nouvelle agence de financement du développement durable.

Eva Joly: commençons pas combattre la fraude fiscale!

Eva Joly préside actuellement la commission développement du Parlement Européen. Elle a travaillé 8 ans avec NORADE, une agence de développement norvégienne. La source la plus importante de financement des pays en développement est une juste répartition du produit de leurs propres ressources. C’est de loin la ressource la plus importante. Or une étude du gouvernement norvégien accessible en ligne évalue à 1 trilliard de $(1000 milliards) les flux illicites émanant de telles ressources.

Comment font les multinationales quand elles opèrent par exemple en Afrique dans les mines ? D’abord elles négocient des contrats exagérément avantageux. Ainsi, l’extraction du cuivre en Zambie: on a trouvé à Londres des fonds détenus par le président de ce pays où opère une filiale de Gencore qui pendant des années a exporté le cuivre en-dessous du prix du marché. De surcroît, en Zambie, cette entreprise bénéficiait d’électricité subventionnée… Il y a aussi les prix de transfert, entassés à l’île Maurice qui est un paradis fiscal. Ainsi, les bénéfices sont taxés dans un endroit où il n’y a pas d’impôt.

Il s’agit là de transferts de fonds des pays en développement vers des actionnaires privés, alors que ces richesses auraient dû bénéficier au pays lui-même. Et bien qu’on le sache, les paradis fiscaux n’ont jamais été aussi florissants ! Alors comment avancer ? En Zambie, la lutte contre la pauvreté ne marche pas. Mais en rétablissant un régime fiscal plus juste, en quelques années on était déjà parvenus à améliorer la situation.

Il n’y a quasiment pas de procédures à l’encontre des multinationales qui pratiquent la fraude fiscale via les prix de transfert. Les filiales servent d’écrans. Derrière ces constructions, on blanchit même l’argent du crime ! C’est tout de même incroyable qu’on n’arrive pas à combattre les paradis fiscaux: 50% des actifs mondiaux appartiennent à 0,2% de la population ! Ce système financier est suranné, il date des années 20. Nous devons exiger une plus grande transparence. C’est le sens de la campagne Publish what you pay, qui préconise un rapportage pays par pays.

Eva Joly fait le lien avec un débat qui agite alors le Brésil, le projet de barrage de Belomonte, qui va détruire une énorme partie de la forêt amazonienne : ce barrage est notamment prévu pour fournir de l’électricité aux multinationales minières…

Mary Robinson: obliger les gouvernements à rendre des comptes

Selon la présidente honoraire d’Oxfam International, les enfants ne doivent pas payer le coût de la dette qu’on leur laisse. Il faut voir les progrès déjà engrangés par les pays du sud, particulièrement vulnérables aux changements climatiques, d’où l’importance du fonds climat.

Le monde change ; certains vont subir plus d’impacts, d’autres devraient prendre plus de responsabilités. Si l’on veut générer les finances nécessaires pour atteindre les Objectifs de Développement Durable et permettre une transition vers une société bas carbone, les promesses ne suffisent pas. Il faut obliger les gouvernements à rendre des comptes.

La planification requiert des sources de financement stables et prévisibles. C’est aussi une question de droits humains : la justice climatique commande de combattre les changements climatiques.

L’Europe doit faire preuve de leadership pour mettre en oeuvre la taxe sur les transactions financières. Il faut s’assurer qu’elle n’aura pas d’effet pervers pour les plus pauvres. Idem pour d’autres mesures proposées comme celle de mettre un prix sur le carbone émis par le transport.

Heidi Hautala, Ministre Finlandaise du développement international

Pourquoi perdons-nous des revenus fiscaux ? A cause de divers phénomènes dont les paradis fiscaux, ou les prix de transfert, cf. Eva Joly, et le remarquable travail du Tax Justice Network.
En tant que ministre du développement international, nous aidons nos pays partenaires à renforcer leur législation via diverses initiatives :

 L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives

 La Natural resources charter

 Le partenariat économique vert des pays africains

Ces programmes visent à favoriser la bonne gouvernance en Afrique et à contrer ainsi la corruption qui permet une évasion fiscale considérable. La taxe sur les transactions financières nécessite, elle, une large coalition pour être mise en oeuvre au niv global. Beaucoup de trous sont à boucher pour financer le développement !

Heikki Holmås, Ministre norvégien du développement international

La Norvège propose à Rio 3 pistes de financements innovants pour le développement :

  1. Que les pays les plus riches confirment leurs contributions. Beaucoup ne le font pas. 1 % du revenu national devrait y être consacré. Actuellement, la difficulté provient des conservateurs dans nos pays.
  2. Que les pays concernés mobilisent leur propre argent : ainsi, selon la société civile des pays concernés, tous les traités et contrats signés avec l’industrie extractive devraient être renégociés. Oui au « country by country report », mais c’est une étape ; il faut aller plus loin, éviter les financements illégaux, la corruption. Là il faut plus d’ouverture pour que la fiscalité devienne une réalité et permettre plus d’équité.
  3. Il y a des opportunités des financements innovants : le monde n’est plus bipolaire, entre pays riches et pauvres. Partout il y a des gens et des entreprises riches qui devraient contribuer à plus d’équité. Il y a aussi beaucoup de pauvres partout. Il suffit d’un peu de progressivité dans les taxes pour éradiquer la pauvreté. Comment y parvenir ? Notamment via la taxe sur les transactions financières.

Pour réaliser tout cela, Heikki Holmås propose une convention pour un réseau multilatéral de régulation

Conclusion: agissons !

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Certains des orateurs ont rappelé que les engagements doivent être remplis, que la fiscalité fonctionne. Puis il y a les financements innovants comme la taxe sur les transactions financières. En effet, l’UE et d’autres pays s’y engagent. On peut aussi taxer le CO2 et les avions, instaurer des dispositifs de garanties, de marché, des innovations sur la vente aux enchères des quotas de CO2, et faire contribuer les citoyens, les entreprises, prévoir des mécanismes de gestion de la dette.

Des activistes de la campagne Robin des Bois font irruption dans le débat, brandissant une déclaration de la société civile. Le sommet de Rio a eu lieu à un moment critique, juste après le G20. La taxe sur les transactions financières peut contribuer à relever de nombreux défis. Malheureusement elle n’est pas au top des agendas politiques, même en Europe. Ces représentants de la société civile, demandent solennellement aux gouvernements de la mettre en oeuvre… Il est plus que temps, en effet !