Ce samedi 28 juillet 2012, Antoinette Brouyaux d’Associations 21 et Brigitte Gloire d’Oxfam Solidarité ont rendu compte de leur participation à la Conférence des Nations Unies Rio+20, en compagnie de Maurice Losch de Greenpeace Belgique et Luxembourg. Echos de ce feed-back et de l’échange nourri qui l’a suivi!


En juin 2012, Antoinette Brouyaux et Brigitte Gloire, représentant respectivement Associations 21 et Oxfam Solidarité, faisaient partie, comme membres de la société civile, de la délégation belge à la Conférence des Nations Unies Rio+20. Maurice Losch, lui, n’a pas rejoint la délégation belge, Greenpeace ayant plutôt tenté d’influencer le processus en amont et dépêchant sur place uniquement son staff international. Ce qui n’a pas empêché Greenpeace Belgique de suivre l’événement avec attention. En cette fin juillet 2012, la Petite Foire de Libramont fut l’occasion de revenir sur le déroulement de ce sommet et de tout ce qui se déroulait avant, pendant et après celui-ci à Rio.

Rappel des événements

Au travers de quelques clichés pris sur place, Antoinette Brouyaux a tout d’abord expliqué quels événements avaient eu cours à Rio en juin 2012: tout d’abord, la dernière session de négociations en vue du sommet lui-même; cette dernière session organisée au Rio Centro (hors du centre ville) était prévue initialement du 13 au 15 juin. Elle se poursuivit finalement jusqu’au 19 juin, date à laquelle la diplomatie brésilienne fit savoir à l’ensemble des négociateurs que le document « The future we want » (traduction française officielle) tel que bouclé lors de cette session, serait proposé comme document final aux chefs d’Etats et de gouvernement sans que ceux-ci puissent encore négocier l’un ou l’autre point. La méthode, surprenante pour nombre d’observateurs, avait le mérite de la clarté: le Brésil ne voulait pas prendre le risque d’un échec dans sa phase finale et voulait donc garantir un résultat sur base des compromis possibles entre les négociateurs.
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Ce « futur que nous voulons » est évidemment « le plus petit commun dénominateur » possible entre les Etats membres des Nations Unies, à l’heure actuelle. De façon générale, il rappelle des engagements pris antérieurement, avec tout de même, notons-le, une adoption du programme à 10 ans sur les modes de consommation et de production, négocié depuis Johannesbourg (Rio+10, 2002), et un calendrier en vue de préciser des Objectifs de Développement Durable communs à toute la planète, dans la foulée des Objectifs du Millénaire.

En marge de cette dernière session de négociation et du sommet final, de nombreuses conférences étaient organisées par nos hôtes Brésiliens. Et, tout comme à Avignon, le public était partagé entre le programme du « in » (conférences organisées au Rio Centro) et celui du « off »: événements organisés dans le cadre du Sommet des Peuples, au centre ville même (le vrai!). Ce grand choix d’activités dispersées géographiquement à Rio ne facilitait pas le réseautage entre associations. Néanmoins, de belles rencontres et des retrouvailles mémorables ont eu lieu, comme par exemple avec Samir Abi de l’Alliance panafricaine pour une justice climatique, qui nous a livré sa chronique de la session commémorative du sommet de 1992 à Rio+20. D’autres comptes-rendus seront publiés par Associations 21 d’ici le 24 septembre 2012, date de notre AG extraordinaire consacrée aux suites de Rio+20.

Ajoutons que le Portugais était la langue d’usage de la plupart des conférences du Sommet des Peuples, ce qui permettait une large participation de la société civile brésilienne mais rendait plus difficile celle des représentants d’associations étrangères. Heureusement, certains membres de la société civile belge, à l’aise en Portugais, ont pu suivre ces activités plus spécifiquement et en rendre compte aux autres. Voir notamment l’interview de Nicolas Van Nuffel, du CNCD, accordé à Associations 21.

Le 20 juin, nous étions 80.000 personnes dans les rues de Rio à manifester notre indignation contre le manque de volonté politique en matière de développement durable, mais aussi à prendre connaissance de revendications des uns et des autres, dans divers pays et secteurs qui préoccupent la société civile mondiale: les syndicats brésiliens étaient présents en nombre, dénonçant les coupures budgétaires dans les secteurs de l’éducation et de la santé (leur mouvement s’est d’ailleurs étendu à d’autres secteurs dans les semaines qui ont suivi). Les environnementalistes dénonçaient en particulier l’évolution inquiétante du Code Forestier sensé protéger la forêt amazonienne, vu le lobbying massif des grands propriétaires terriens auprès du Congrès Brésilien pour pouvoir poursuivre leurs activités dommageables à la protection de ce poumon vert, de sa biodiversité et des populations qui y vivent encore, en symbiose avec la nature. Divers mouvements dénonçaient les dérives du capitalisme vert, de la financiarisation de la nature (marchés du carbone et des services environnementaux) ou défendaient la notion de bien commun, en particulier pour l’accès à l’eau. Les budgets consacrés à l’armement étaient aussi remis en cause par de nombreux manifestants. Enfin, les féministes s’insurgeaient contre l’absence, dans la déclaration finale de Rio+20, de la notion de droits reproductifs (droit au libre choix des femmes en matière de contraception et d’avortement). Le tout, dans un grand déballage de couleurs, de musique et de danses, et surtout, sans un seul pétard! Nous retiendrons de cette manifestation comme de notre séjour brésilien en général, cette belle leçon de civilité.
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Signalons également qu’à Rio, juste avant le début des négociations, les syndicats en congrès mondial ont adopté diverses résolution et une perspective à l’horizon de la transition juste: celle d’une sortie des énergies fossiles. Voir l’écho qu’en donne Anne Demelenne dans son interview à Associations 21.

« Relire Rio 1992 »

Brigitte Gloire, d’Oxfam Solidarité, a rappelé à Libramont l’intérêt de relire les textes adoptés à Rio en 1992. Tels quels, aux yeux de beaucoup, ils n’auraient pas été approuvés en 2012… C’est pourquoi, le premier combat de l’ONG à RIO était d’éviter toute régression et de rappeler au monde l’injustice environnementale, ses causes et la nécessité de combiner la préservation de l’environnement avec le droit au développement pour tous. Au Brésil, l’équipe d’Oxfam a surtout suivi les négociations liées aux objectifs de développement durable (SDGs) et aux questions agricoles et alimentaires et a tenté, par son plaidoyer, d’influencer les négociateurs jusqu’aux ultimes tractations.

Maurice Losch, de Greenpeace, a expliqué quant à lui que beaucoup se joue dès le départ des négociations en vue d’un tel sommet. C’est aussi l’avis d’Olivier Hoedeman, du Corporate Europe Observatory, interviewé par Associations 21 à Rio. Lors de ces négociations préliminaires à New-York, Greenpeace avait déjà remarqué que les grandes puissances freinaient des quatre fers pour empêcher le véhicule « Rio+20 » d’atteindre des objectifs ambitieux, contrairement à ce qui s’était passé en 1992. Le monde a bien changé depuis…

Dans ce contexte, il faut relever que l’Europe est plus souvent du côté des conducteurs volontaires que des freineurs. Cependant, elle n’est plus la grande puissance qu’elle a été, en termes de rapports de force. La crise économique et financière est passée par là, et les pays émergeants s’imposent désormais. Le problème, pour Greenpeace, c’est surtout que depuis 1992, tous les problèmes constatés alors se sont encore intensifiés. Dans bien des domaines, il faut agir d’urgence. C’est pourquoi ces blocages sont dramatiques. C’est pourquoi aussi, Greenpeace a lancé à Rio sa campagne « Arctique ». Cette région où les changements climatiques entraînent d’ores et déjà des fontes de glaces massives, fait du coup l’objet de toutes les convoitises, avec les risques militaires, environnementaux et sociaux que celles-ci entraînent.

« Penser global, c’est tout sauf facile »

Rebondissant sur les propos de Brigitte Gloire, Nadine Gouzée, responsable de la Task Force du Bureau du Plan, et présente dans le public du débat, a rappelé de son côté ce grand précepte du développement durable: « penser globalement, agissant localement ».

Comme on l’a encore vu à Rio cette année, penser global, c’est tout sauf facile, fait-elle remarquer. Cela nécessite d’embrasser des sujets forts différents, de confronter des points de vue aux antipodes, d’adopter un point de vue transversal, une pensée holistique… C’est pourquoi, il faut nuancer le diagnostic sévères. Certes, l’ensemble de la délégation belge est revenu déçu de Rio, en juin 2012. Mais n’était-ce déjà pas le cas en 2002 et en 1992? Après coup, on se rend compte que l’exercice a tout de même servi à quelque chose. Au moins, on se parle, de sujets souvent délaissés et pourtant ô combien importants pour l’avenir de l’humanité. On essaye de se comprendre, entre représentants des Etats, et les diverses parties prenantes sont associées (en tout cas, les membres de la société civile pouvaient assister, en tant qu’observateurs, à de nombreuses réunions et pouvaient, en marge de celles-ci, faire part de leurs revendications aux négociateurs).

Un sommet des Nations Unies n’est pas une olympiade!

Le CADTM, également représenté dans le public du débat à Libramont, remarque que le désintérêt pour Rio+20 s’explique en grande partie par la crise économique. Mais, dans leur effervescence à tenter de juguler celle-ci, les politiques envoient à nouveau ce signal que l’économie prime sur l’écologie. Il faut donc rappeler, dans ce contexte, l’idée de dette écologique, portée au départ par une ONG chilienne, dette dont les responsables sont principalement les pays du Nord. Selon le CADTM, la logique de négociation que soutiennent ainsi les ONG présentes à Rio, ne donne plus de résultats satisfaisants. Il faut donc passer à la confrontation.

Thomas Lauwers, du Mouvement pour une Agriculture Paysanne (MAP), renchérit: pourquoi aller si loin, revenir sans engagements et encore, oser en parler? Le niveau politique n’a pas l’air conscient de ses responsabilités.

Autre question cruciale: alors que le célèbre rapport du Club de Rome, publié en 1972, a été réactualisé encore tout récemment, montrant que les projections d’il y a 40 ans se vérifient de manière alarmante, pourquoi de tels rapports ont-ils si peu d’échos auprès des décideurs?

Et enfin, cette dernière réflexion d’un autre participant: le problème n’est-il pas que d’une manière générale, les gens sont encore trop inféodés à la religion du consumérisme?

Pour résumer les réponses, on signalera à toutes fins utiles qu’un Sommet des Nations Unies n’est pas une olympiade: certes on s’y prépare en visant des objectifs ambitieux. Mais si on ne ramène pas la médaille d’or, ce n’est pas nécessairement parce que l’on n’a pas bien travaillé. On a fait ce qu’on a pu dans le contexte du moment, et force est de constater que les négociateurs belges n’ont pas ménagé leurs efforts à Rio.

Il s’agit à présent de tirer des conclusions du résultat obtenu, d’analyser ce constat du changement de rapports de force, de penser à une réforme de l’ONU, et d’acter que les pays émergents sont à présent si affairés dans leur course au développement que, peut-être, c’est dans la vieille Europe en crise qu’une invitation à changer nos modes de production et de consommation peut aujourd’hui être la mieux reçue. Et qu’enfin, on est bien d’accord sur l’intérêt des alternatives locales mais que celles-ci ont aussi besoin d’un cadre et de décisions politiques qui les soutiennent. Libéralisme, équité et limites sont des enjeux difficilement conciliables et, last but not least, mieux vaut ne pas attendre la prochaine crise pour agir!
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