Le 29 avril 2010, Tim Jackson, de la « Sustainable Development Commission » du gouvernement britannique, présentait à l’Université Libre de Bruxelles la version française de son ouvrage, « Prospérité sans croissance? », traduite par une équipe de chercheurs associés d’Etopia.

Le mythe de la croissance porte les graines de sa propre destruction car comment continuer à croître dans un système fermé? Même pour un enfant cela peut sembler évident.

Mais dans le contexte gouvernemental, quand il s’agit de présenter un rapport de développement durable, c’est problématique. « Prosperity without growth » est sorti au Royaume Uni la semaine où Gordon Brown invitait le G20 pour parler de la relance de la croissance. Dans un premier temps, Tim Jackson s’est dès lors fait tancer par des représentants du gouvernement britannique, et la presse l’a boudé. Bientôt, la commission du développement durable britannique fut inondée de demandes d’interventions. Les auteurs du rapport avaient l’impression de participer à un courant de la société. Sa traduction en français n’est pas anodine. La culture francophone est plus encline à analyser les questions sociétales de façon philosophique.

Le rapport est divisé en trois parties:

1. Le dilemme de la croissance :

Le fait de parler de dilemme permet de ne pas exclure l’un ou l’autre bord mais indique que la situation délicate. Changements climatiques, perte de biodiversité… La croissance est toujours un objectif acceptable pour les pays pauvres, mais l’indice de développement humain atteste qu’à partir d’un certain seuil de développement, l’espérance de vie n’augmente plus avec le revenu. Par ailleur, l’idée de décroissance pose également problème. La décroissance présente des difficultés économiques, une instabilité intrinsèque. Dans un contexte d’amélioration de la productivité, si l’économie diminue, l’emploi risque de s’effondrer. D’où les craintes que suscite ce terme.

C’est pourquoi les politiques invoquent la solution du découplage: réduire la consommation des ressources tout en poursuivant la croissance des valeurs économiques. Mais l’expérience montre que les gains de productivité ne réduisent pas la pression sur les ressources car la consommation augmente. En postulant un niveau de vie acceptable pour 9 milliards d’humains en 2050, il faudrait réduire 130 fois les émissions de carbone par $ d’activité produite, et même que chaque dollar « aspire » du carbone d’ici 2100. Ce n’est pas réaliste.
Bref, le dilemme est profond, il n’y a pas de solution toute faite. Jusqu’à présent, notre réponse à ce dilemme n’est pas adéquate. A moins que nous ne faisions face…

2. Les dynamiques sous-jacentes :

Des entreprises produisent des biens et des services pour les ménages, et des revenus pour que les travailleurs dépensent ces biens et services. Ce cercle n’est pas fermé. Une partie de l’argent gagné est investie pour augmenter la productivité, dans une poursuite permanente de la nouveauté. Les ressorts psychologiques de ce système sont puissants : anxiété, désir de séduction… La croissance est un moteur. La consommation est stimulée par le crédit.
Cette dynamique stimulante s’est emballée, provoquant la crise. Celle-ci a été précédée de 3 années durant lesquelles le niveau d’endettement était plus élevé que le PIB. Nous avons été convaincus
de devoir dépenser de l’argent que nous n’avons pas pour acheter des biens dont nous n’avons pas besoin, pour faire plaisir à des gens qu’on ne connaît pas et qui ne se soucient pas de nous !
Par ailleurs, cette dynamique sert la croissance mais non le bien-être, il y a un découplage entre les évolutions économique et sociale. Et l’Etat, en voulant stabiliser l’économie, entre en conflit avec son rôle de protection sociale.

Cette « prognose » pourrait nous conduire à opter pour la « stratégie de canot de survie »: se protéger soi sans se soucier des autres, mais combien de temps le canot tiendra-t-il dans la tempête?Une société sans espoir est une société en danger, il est nécessaire de s’engager dans la construction d’un autre monde possible… Et ce n’est pas le job d’une seule personne.

3. Comment échapper à ce dilemme, créer un autre système économique, une autre vision de la prospérité :

Tout d’abord il s’agit de redéfinir la prospérité (plus largement que le revenu/tête, épanouissement matériel, social et psychologique) et de changer les modes de gouvernance. Ainsi, les espaces publics représentent la prospérité commune (cf Michael Sandel, Juin 2009).

L’économie doit se baser sur les technologies vertes et les services, l’activité se dématérialiser. Pour ce faire, il faut des invest écologiques, mais ceux-ci ne donnent pas les mêmes résultats, d’où une nécessaire intervention de l’Etat. De plus, dans l’économie conventionnelle, la productivité des services d’intérêt collectif est plus faible voire négative. C’est pourquoi, il faut prendre en compte la productivité sociale et écologique.

Le rapport propose 12 stratégies concrètes pour changer le système en ce sens:

  • Etablir les limites: plafonds de ressources et d’émissions, objectifs de réduction; réforme fiscale pour la durabilité; soutien à la transition écologique dans les pays en développement;
  • Réparer le modèle économique: développer une théorie macroéconomique écologique; investir dans l’emploi, les actifs et les infrastructures; accroître la prudence financière et fiscale; réviser les comptes nationaux;
  • Changer la logique sociale: politique du temps de travail, lutte contre les inégalités systémiques, mesurer les capacités et l’épanouissement, renforcement du capital social, démanteler la culture du consumérisme…

Ce n’est pas une utopie, conclut le rapport…

Celui-ci est préfacé par Patrick Viveret et Mary Robinson, et est accompagné d’un article de Michael Sandel, « Une prospérité durable » (juin 2009), d’une post-face de Susana Jourdan et Jacques Mirenowicz de la Revue Durable, d’une annexe présentant le projet « Redefining prosperity » de la SDC britannique, d’une annexe « Macroéconomie écologie » et de nombreuses références bibliographiques.

L’ouvrage est consultable au bureau d’Associations 21 à Mundo-B, rue d’Edimbourg 26, 1050 Bruxelles.

En ligne en anglais

Commander la traduction française