Le 28 octobre 2011, Associations 21 a posté sur le site des Nations Unies une contribution pour la préparation de la déclaration finale de Rio+20 (prochain sommet de la terre organisé à Rio du 4 au 6 juin 2012, 20 ans après celui de 1992). En voici la version française.


Associations 21 pour un développement durable est un réseau d’associations et d’organisations de la société civile qui travaillent dans différents secteurs : environnement, agriculture, culture, économie sociale, éducation, genre, travail social, relations Nord-sud, droits humains, etc. (Cfr charte fondatrice).

Depuis 2006, nous développons ensemble une réflexion critique transversale, en vue de permettre à toutes et tous d’accéder ici et ailleurs, maintenant et demain, à une vie de qualité. En tant que groupe majeur « associations » tel que défini dans la Déclaration de Rio, nous contribuons en Belgique au dialogue social pour intégrer les principes du développement durable dans toutes les politiques et in fine, au sein de la société.

Des problèmes urgents à résoudre…

D’un côté, les préoccupations exprimées par les esprits visionnaires du Sommet de Rio en 1992 sont devenues en 2011 des problèmes immédiats et urgents:
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  1. En 20 ans, la production de richesses a explosé, mais celles-ci sont de moins en moins réparties.  Il y a toujours autant de personnes souffrant de la faim (1 milliard) alors qu’en 2011, la production alimentaire mondiale pourrait suffire à nourrir 7 milliards de personnes, pour autant que l’on régule et modifie le fonctionnement de la chaîne alimentaire. En attendant, partout dans le monde, les inégalités ne cessent de se creuser. En Belgique, selon le Rapport Général sur la Pauvreté de 1994, entre 6 et 7% de personnes vivaient alors sous le seuil de pauvreté. En 2011, elles sont 15%. En 2015, la plupart des objectifs du millénaire pour le développement ne seront pas atteints.
  2. La pression de l’activité humaine sur les ressources s’est elle aussi accentuée ; en particulier, l’empreinte écologique des pays industrialisés continue d’augmenter. Dès lors, l’humanité a dépassé les limites de la biocapacité terrestre et les populations les plus précaires sont les premières à pâtir, en particulier dans les pays en développement. Les trois grandes conventions issues de RIO en 1992 (climat – désertification et biodiversité) n’ont pas réussi à contenir le réchauffement climatique, la désertification et les pertes de biodiversité.
  3. La libéralisation a facilité la mondialisation des échanges sans internaliser les coûts sociaux et environnementaux. La financiarisation de l’économie a accentué ces tendances, changé les rapports de force en faveur des institutions financières et rendu de plus en plus difficiles les mesures vers plus de soutenabilité.
  4. D’où les crises à répétition et les politiques d’austérité qui provoquent des conflits sociaux et précipitent d’innombrables personnes dans la misère.

…D’innombrables opportunités à saisir

De l’autre côté, les engagements pris en 1992 ont suscité ou valorisé d’innombrables initiatives à l’échelle des associations, des entreprises, des collectivités locales ou des états, dont beaucoup ont fait leurs preuves et constituent à présent des solutions crédibles pour sortir l’humanité de ses multiples crises.

Les exemples foisonnent, dans de nombreux secteurs : agro-écologie & agriculture paysanne dans le cadre de la souveraineté alimentaire, énergies renouvelables, économie sociale, éco-construction, réutilisation des déchets, réduction des gaspillages, monnaies complémentaires et autres initiatives solidaires…

Sans oublier les expériences fructueuses de participation des personnes concernées, en particulier les plus pauvres, et d’implication de nombreux acteurs culturels dans cette dynamique de changement.

Le défi : des politiques courageuses et volontaristes, une régulation effective

Il est temps à présent de faire émerger ces initiatives de leurs niches et de briser le « plafond de verre » qui les empêchent de transformer le marché… Et la société.

Pour y parvenir, des politiques volontaristes et une régulation effective sont indispensables car le marché ne peut se réguler lui-même. C’est possible car depuis 20 ans, le concept de développement durable a fait son chemin dans les institutions comme dans les esprits. Vu les crises décrites plus haut, une grande majorité de la population mondiale est à présent en mesure de comprendre leur pertinence et leur urgence.

Ainsi, en Belgique, il est grand temps d’appliquer les tests de durabilité (évaluation de l’impact des décisions sur le développement durable), inscrits dans la loi et rendus obligatoires mais non encore appliqués. Lorsque cet outil aura été éprouvé aux différents niveaux de pouvoir, nous pourrons en faire une une base de travail utile pour d’autres régions.

Renouveler notre engagement oui, si c’est précisément dans ce but !

La déclaration finale de la Conférence de Rio en 2012 se doit d’être un document inspirant et motivant pour toutes les parties prenantes invitées à renouveler leurs engagements pour le futur, tout en prenant en compte non seulement les « défis émergents », mais également tous ceux qui attendent depuis trop longtemps le stade décisif de la régulation.

Cet engagement n’aura de sens que s’il est basé sur :

 l’analyse approfondie des causes de la non soutenabilité de notre modèle

 la proposition d’une alternative répondant aux souhaits du plus grand nombre, en garantissant plus de justice sociale dans la redistribution des richesses produites

 une diminution drastique de l’empreinte écologique des pays industrialisés, en prévenant l’emballement dans certains pays émergents.

Renouveler notre engagement, oui mais comment ?

Cet engagement pourrait être traduit en objectifs de développement soutenable (ODS). Dans un premier temps, ceux-ci ne devraient pas compromettre la poursuite des Millenium Development Goals (MDG). De toute façon, pour que ces ODS soient acceptables, pertinents, réalistes et mesurables par pour toutes les parties, leur définition prendra du temps. Il est donc raisonnable de convenir que les ODS prennent le relais des MDG à partir de 2015.

Gérer la transition vers un mode de vie équitable et soutenable

Le premier thème de la conférence – une économie verte – est réducteur, même si on lui a adjoint la précision suivante : « dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté ».

Ce faisant, on laisse entendre que l’économie avec une teinte plus verte est la solution principale. Le découplage est une des mesures à soutenir mais certainement pas la seule pour permettre un véritable changement de civilisation et de paradigme. La priorité est à présent de remettre le social au coeur du débat car pour permettre plus d’équité dans un monde aux ressources limitées, il faut non seulement des changements techniques mais aussi des innovations sociales et culturelles.

L’économie n’est donc pas un but en soi mais un outil à transformer dans le cadre de la transition vers un mode de vie équitable et soutenable pour toutes et tous.

De plus, il s’agit de lutter contre les inégalités et non contre la pauvreté (et surtout pas contre les pauvres !)

Pourquoi transformer l’économie ?

Parce que depuis 1992, la richesse globale, fruit de la croissance, a explosé ! Mais la traduction de ces gains économiques en gains sociaux est de moins en moins efficiente. Entre 1990 et 2001, pour chaque augmentation de 100 $ dans le PNB/ personne, seuls 0.6 $ ont contribué à réduire l’extrême pauvreté (1$/jour/personne). Ainsi, pour chaque dollar alloué à la réduction de la pauvreté, 166 $ proviennent de la production et de la consommation. La très mauvaise performance du modèle économique actuel non seulement ne contribue pas à la réduction des inégalités, mais elle accentue dangereusement la dégradation de notre environnement.

Comment transformer l’économie ?

  1. En veillant au respect des normes sociales et environnementales.
  2. En internalisant dans les prix tous les coûts sociaux et environnementaux.
  3. Pour ce faire, il convient de dépasser le PIB en ajoutant un set d’indicateurs, visant d’une part l’empreinte écologique (qui doit être la plus proche possible de 2 ha/personne/an), et d’autre part l’emploi, les inégalités (un indice de GINI le plus faible possible), le bien être et la réalisation des droits humains. Selon l’Indice de développement Humain (IDH), le niveau minimum à atteindre partout dans le monde = minimum 0.8.

Equité, redistribution, participation

Actuellement, les pays les moins avancés n’ont pas les moyens financiers de mettre en œuvre une telle politique. Or ces pays sont les premiers confrontés aux famines et aux changements climatiques.

Au nord aussi, la société est de plus en plus duale.
C’est pourquoi, il est urgent :

  1. D’assurer, au niveau de chaque État comme au niveau global, des politiques plus redistributives, afin de diminuer les inégalités et de garantir la réalisation des droits humains fondamentaux pour tous.
  2. De protéger la sécurité sociale là où elle existe (ex. en Belgique) contre les politiques d’austérité, et de la promouvoir là où elle reste à mettre en place.
  3. De reconnaitre l’impact différencié des changements climatiques sur les femmes et sur les hommes. Et ainsi, renforcer le rôle des femmes, en tant qu’agents de changement, dans le processus décisionnel en améliorant leur accès aux ressources, au foncier et aux compétences et en garantissant leur droit à la santé sexuelle et reproductive et à l’éducation tels que mentionnés dans le chapitre 24 de la Déclaration de Rio (1992).
  4. De réaffirmer le rôle des politiques en tant que régulateurs.
  5. De contrôler et réguler les marchés financiers, ce qui nécessite notamment la disparition des paradis fiscaux.
  6. D’instaurer des instruments fiscaux harmonisés au niveau planétaire: taxe sur les transactions financières, taxe carbone, impôt sur la fortune, retrait de l’Accord de Chicago accordant au secteur aérien une exemption de taxe sur le kérosène…
  7. De garantir une véritable participation prenant systématiquement en compte les points de vue de la société civile aux différents niveaux de pouvoir, et en particulier dans le cadre des réunions internationales ; pour exemple, le nouveau « Comité pour la Sécurité Alimentaire » (CSA) mis sur pied dans le cadre des Nations Unies (FAO).

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Réduire l’empreinte écologique

Il convient de limiter au maximum la ponction sur les ressources naturelles, tout en maximisant les effets sociaux et environnementaux positifs de nouveaux modèles de production et de consommation (MDPC).

Pour ce faire, les mesures suivantes nécessitent de passer de la compétition à la coopération entre États, pour :

  1. Fixer des normes de produits au niveau mondial, afin de généraliser l’interdiction des produits polluants.
  2. Subordonner le commerce mondial aux conventions et traités internationaux sur le travail, l’environnement, l’agriculture et les droits humains, afin qu’il tienne réellement compte des besoins et potentialités des populations, de la préservation et de la restauration des ressources naturelles. Ainsi, les prix aux consommateurs doivent réellement internaliser les coûts des différents modes de production, de transformation et de commercialisation pour que ceux-ci deviennent durables et pour stopper le dumping.
  3. Conclure un accord climatique contraignant, ambitieux et équitable engageant l’UE à réduire ses GES d’au minimum 40 % en interne et à financer le fonds climat à l’intention des pays en développement.
  4. Assurer plus de cohérence à l’ensemble des politiques autour du développement durable. Cela implique :

    — la mise en place d’une procédure « no harm » permettant d’éviter des politiques ou mesures contradictoires (ex : une politique climatique Belge ou Européenne induisant des accaparements de terres et une augmentation nette de GES hors de nos frontières).

    — Des outils d’analyse renforcés : systématisation des études d’impact, notamment selon le genre des politiques commerciales, financières, agricoles, climatiques, de coopération… Sur le développement durable.

    — Des objectifs déclarés de lutte contre les inégalités

    — l’application plus stricte du principe de précaution aux nouvelles technologies.

Préserver les biens publics mondiaux

Il s’agit de rétablir une hiérarchie des droits donnant la primauté au bien commun et à l’intérêt général. Dès lors :

  1. La réalisation des droits fondamentaux de toutes et tous partout dans le monde et le respect des conventions internationales relatives aux droits humains et aux conventions environnementales et de sécurité alimentaire doivent primer sur le droit commercial.
  2. Il faut réorienter les politiques foncières, agricoles et commerciales pour donner la primauté au droit d’usage sur les sols et les ressources naturelles plutôt qu’au droit d’échange.
  3. Pour enrayer la marchandisation des biens publics mondiaux, les principes liés à l’économie des écosystèmes et de la biodiversité (TEEB), doivent être reconsidérés. A terme, il s’agit de trouver des solutions alternatives aux échanges de quotas d’émissions et autres droits de polluer qui accroissent les inégalités.

Agriculture : une solution prioritaire

A Rio+20, une attention particulière doit être accordée à l’ensemble de la chaîne alimentaire. Sur ce point, Associations 21 se réfère à la déclaration commune de la société civile intitulée « Rio+20 : il est temps d’agir ».

En effet, l’agriculture est à la fois un problème et la principale solution pour gérer durablement nourrir la planète en assurant le principe de la souveraineté alimentaire et l’autosuffisance alimentaire.

Pour ce faire, il convient de :

  1. Relocaliser la production et diversifier la consommation et la transformation alimentaire en réduisant le pouvoir des oligopoles.
  2. Stopper l’accaparement des terres.
  3. Donner la priorité à la fonction alimentaire dans l’usage des sols, notamment en garantissant également l’accès des femmes au foncier.
  4. Soutenir l’agriculture paysanne et l’agroécologie.
  5. Reconstituer des stocks alimentaires au niveau des régions afin de garantir l’approvisionnement des zones en difficulté et éviter la flambée spéculative des prix, tout en assurant une bonne gestion des stocks, afin d’éviter les gaspillages.
  6. Améliorer la transformation locale des produits, notamment par les femmes, pour accroitre la valeur ajoutée et donc la gestion et le contrôle des revenus au lieu même de la production.

Gouvernance mondiale du développement durable : se donner les moyens d’agir au niveau multilatéral

La réforme institutionnelle envisagée à Rio constitue l’opportunité d’adopter au sein des institutions onusiennes une stratégie d’intégration du principe du développement durable dans toutes les politiques et institutions.

Pour ce faire :

 La coordination des différentes agences et programmes doit être assurée par un organe exécutif doté de l’autorité et des moyens nécessaires pour pouvoir contrôler et sanctionner, le cas échéant. Dans cette perspective, la « Commission of Sustainable Development » (CSD) doit être transformée et éventuellement fusionnée avec Ecosoc.

 L’UNEP doit devenir une véritable Organisation Mondiale de l’Environnement, à l’instar de l’OMC et l’OIT, l’OMC devant être soumise au respect des normes sociales et environnementales dans toutes les politiques économiques.

 Pour asseoir la légitimité d’une prise en compte de la durabilité à tous les niveaux, nous prônons également la création un groupe international d’experts (femmes et hommes du Sud et du Nord) sur la soutenabilité à l’image du GIEC (pour le climat) ou de l’IAAST (pour l’agriculture et l’alimentation).

 Les recommandations émanant du Comité de Sécurité Alimentaire (Nations Unies/FAO) doivent être appliquées au niveau des régions et états avec la participation de la société civile.

 En vue d’assurer la justice environnementale et de garantir l’application du principe 10 de la déclaration de RIO, la Convention d’Arrhus doit être élargie à l’échelle mondiale.

 Un protocole doit être envisagé au plan multilatéral pour garantir l’application du principe de précaution avant tout usage de nouvelles technologies.

 Le « plan d’action » doit inclure des mécanismes de redevabilité des autorités. Celles-ci devraient rendre des comptes aux groupes majeurs et créer des services « ombudsman » pour les générations futures.

Retrouvez notre contribution en anglais sur le site des Nations Unies

Cette contribution a également été publiée sur le site d’Agora 21.