Le point sur les causes et conséquences des désordres climatiques avec la certitude de plus en plus évidente d’une crise systémique, d’un effondrement possible face au déni des acteurs qui continuent le business as usual. Répondre à ces défis passe par la mobilisation citoyenne, la justice climatique et les solutions résilientes.

Les participants

1markten_debat_1-2.jpg Juliette Boulet, de Greenpeace, modère le débat. Hervé Le Treut, climatologue physicien, est membre du Giec. Patrick Brocorens, fondateur de l’ASPO, travaille sur le pic du pétrole et les énergies fossiles. Brigitte Gloire d’Oxfam Solidarité (Cellule environnement durable), suit toutes les COP depuis la réunion « climat » de Postdam. Raphaël Stevens est Co-auteur du livre « Comment tout peut s’effondrer ? » avec Pablo Servigne.

Compte-rendu de Xavier Delwarte pour Associations 21.

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Hervé Le Treut : le point sur la COP 21 et la situation actuelle

On ne parle pas différemment aujourd’hui de la problématique du climat par rapport aux années 70 même si la préoccupation a réellement commencé dans les années 80! Voir Graphique Gigatop milliard T de CO2.

Dans les années 50, on pensait que les océans pouvaient intégrer dans leur écosystème les 3 à 4 milliards de Carbone produits par les activités humaines. Depuis 15 ans, on n’a pas réussi à enrayer les émissions qui atteignent 10 milliards de Carbone actuellement ! C’est comme si nous étions passé de 10km/h à 100 km/h.

Les effets sont toujours postérieurs aux émissions, ce qui rend très trompeur cette accumulation de carbone. Les gaz à effets de serre ont donc des effets qui s’étalent sur des décennies, ce qui est difficile à comprendre par l’homme de la rue. De plus en plus de CO2 absorbé par les océans les acidifie. La déforestation contribue également à l’émission de Carbone ainsi que les autres activités humaines.

Le rapport GIEC qui sort tous les 6 ans donne une synthèse des résultats de la science, cela représente des milliers de pages scientifiques réparties en 3 volumes.
Le constat sous forme de diagramme pour les décideurs est simple mais les décisions sont plus compliquées à prendre. L’Institut Pierre Simon Laplace coopère avec 20 instituts qui travaillent sur le climat. On arrive par modélisation à reconstituer le dernier siècle et même les dernières glaciations.

Les questions qui se posent : quelles seront les effets des gaz effet de serre dans le futur ? Quelles tendances démographique et économique ? 6 scénarios prospectifs sont sur la table.

10 milliards tonnes de Carbone correspond au scénario vert avec réchauffement sous les 2°C, Il n’est déjà plus possible en 2010 mais il le sera peut-être en 2050 si de bonnes mesures sont prises !

Pour arriver à 2°C max d’augmentation, il faut stabiliser le CO2 et comme il est rémanent, cela implique que l’on ne pourra plus en émettre du tout ! En 2050, Il en faudrait 40 à 70% de moins pour obtenir les effets voulus… et en 2080, il faudra capter plus de Carbone que l’on en produit, c’est assez drastique ! En utilisant le nucléaire ? Ce sera aussi difficile à atteindre dans tous les cas.

Le changement des températures en surface accroit celles des pôles et celles des continents. On obtient de plus en plus de similitudes entre ce qui était prévu par modélisation mathématique et ce qu’on a réellement aujourd’hui. Conséquences : relèvement du niveau de la mer, fonte de la banquise arctique, le vivant végétal est affecté de façon inégale selon les lieux, les régions chaudes (Méditerranée) vont s’assécher. La nature ne pourra pas toujours réagir (perte de la diversité biologique car les changements climatiques sont trop courts). En zone intertropicale, la saison humide peut disparaitre, ce qui sera une catastrophe pour les populations locales. Le risque climatique s’accompagnera ainsi de graves conséquences sociales (renforcement des inégalités).

Les risques climatiques ne sont pas « prévisibles » à 100% ! Il y aura donc des aléas qui nous questionnent sur le « comment allons-nous vivre avec 9 milliards d’habitants sur Terre ? ». Et même si on agit rapidement, il y a beaucoup d’incertitudes. Selon les prévisions de la FAO (ONU), l’Afrique devra produire 5 fois plus, l’Asie 2,34 fois plus pour nourrir sa population !

Chaque société aura des réactions différentes face aux changements du climat. La science n’est pas sollicitée sur ces problèmes… Cependant, au niveau régional, des scientifiques se mobilisent; ainsi en Aquitaine, plus de 200 scientifiques travaillent sur des prévisions telles qu’une augmentation de 10°C en 2100, c’est loin d’être négligeable. Dans 50 ans, il est certain que des zones littorales deviendront submersibles et il est important d’en discuter car soit on ne fait rien, soit on réalise des structures pour résister. Toutes les régions ne sont donc pas logées à la même enseigne, ex. le vin Château Margaux sera sous eau si rien n’est fait!

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Patrick BROCORENS : Analyse du pic pétrolier en rapport avec le changement climatique

Le ppt montre une photo prise aux USA, dans le Dakota du Nord où est produit le gaz de schiste (Bakken formation): on y voit la lumière du brûlage des gaz issu de l’extraction.

Schéma actuel : ressources disponibles -> système économique en croissance -> Déchets abondants. Depuis peu s’impose le souci des pollutions liées aux déchets, d’où le recyclage qui s’impose peu à peu. On se préoccupe aussi de la qualité des ressources: les meilleures sont en train de s’épuiser. Ce sont de nouvelles contraintes en amont du système économique, cette situation est nouvelle.

Ces contraintes vont-elles permettre de solutionner le problème climatique ?
Cf graphe où l’ère industrielle dès le 19ième siècle a entraîné 150 années de forte croissance, puis 50 ans de plateau (actuellement), ensuite on envisage un déclin pendant 150 ans !

L’entreprise Total prévoit qu’avec le pic du pétrole, en 2020 on en sera à 92Mb/j avec un écart-type de 15. Les gisements sont de plus en plus petits, c’est une contrainte physique: il est de plus en plus difficile d’extraire du pétrole et la qualité est moindre, il faut donc de plus en plus d’énergie pour l’extraction.

Le prix du pétrole devrait être à 100$ le baril pour que ce genre d’extraction soit rentable, or actuellement, il est à 50$ le baril ! A cela s’ajoute le facteur géopolitique. Les pays arabes continuent à produire de façon constante et cassent donc le marché international. A cela s’ajoute la production américaine. L’offre dépasse la demande.
La contrainte du changement climatique n’est pas encore prise en compte…

L’AIE (Agence Internationale de l’Energie) estime même que les contraintes ne sont pas encore suffisantes mais que les enjeux géopolitiques et le climat peuvent apporter une contrainte. Son scénario vert montre un déclin normal de la production mais l’AIE ne voit pas de pic pétrolier si les politiques suivent le mouvement actuel !

L’excès d’émission de CO2 pourrait être compensé par la production de gaz (qui produit moins de CO2). S’il y a utilisation du charbon, on opte pour un scénario « plateau » mais l’AIE fait baisser rapidement l’utilisation du charbon (vu les ressources et coûts), puis opte pour le pétrole et ensuite se base sur un maintien du gaz naturel.

Comparaison avec les scénarii stress du GIEC: plage verte = scénario 2°C. Plage orange-brune = 2,8°C. Scénario de l’AIE: +4°C ! Tout ce qui est sur la table actuellement en termes de mesures prises ou à prendre reste insuffisant. L’utilisation du charbon qui rentre dans le scénario 2°C est impossible à maintenir.

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Brigitte Gloire : la justice climatique en question

Il existe un large consensus actuellement sur le fait que le changement climatique est général. En tant qu’ONG, nous mettons en avant l’injustice climatique. C’est parce qu’il y a faillite d’un modèle de développement que nous devons changer les paradigmes actuels. 20% de la population les plus riches sur la planète utilise 80% des ressources actuelles…

On consomme déjà une planète et demi actuellement chaque année, alors que 800 millions de personnes ont des problèmes alimentaires. Or chacun a droit aux mêmes accès aux biens (alimentation, énergie…) et aux droits sociaux.L’impact sur la production alimentaire touche les populations les plus vulnérables et elles seront aussi les plus touchées par les effets climatiques directs (ouragan, montée des eaux…) ; on pense en particulier aux populations qui vivent de la pêche, des écosystèmes naturels.

Il y a une double injustice, celle liée à la production des GES (gaz à effets de serre) des pays indistrialisés et celle liée à leur consommation par habitant (avec les mécanismes de délocalisation et d’externalisation des GES)… Australie, Canada, USA sont le trio de tête et la Chine rejoint maintenant l’UE !

Dans le dernier rapport du GIEC, on parle de l’augmentation de l’imprévisibilité des saisons et de la violence des variations climatiques qui aura des impacts sur les sociétés, l’agriculture, l’économie. Un objectif d’une réduction de 40 à 70% pour PVD (pays en voie de développement) et une réduction de 70 à 90% pour les pays industrialisés a été actée à Copenhague. Cf leave-it-in-the-ground.org.

Il faut donc arrêter au plus vite l’extraction de charbon, pétrole et gaz ! Le poids politique des grandes compagnies sur l’extraction pétrolière et du système bancaire complique encore plus la situation. Un suivisme des politiques existe par rapport à ces acteurs.

Paradigmes : économie de marché, libéralisation des échanges, mondialisation sont malheureusement intouchables actuellement. La sujétion des acteurs politiques aux acteurs du secteur privé (chantage à l’emploi) et la recherche de la croissance du PIB vont à l’encontre d’une autre politique pour réduire les GES. Même l’UE qui se dit « ambitieuse » ne l’est pas… La foi inébranlable dans l’innovation technologique (« technofix ») est même été entendue lors du colloque sur la transition d’Associations 21 à Charleroi par des politiques comme Paul Magnette.

La phobie démographique est également souvent mise en avant mais ce sont surtout les pays riches qui sont responsables. Les GES proviennent pour 25 à 33 % de la déforestation mais il faut aussi ajouter beaucoup plus si on compte la transformation alimentaire (énergivore), les transports et la chaîne du froid !

En agriculture, il y a beaucoup de production de méthane mais cela résulte surtout de la production et de l’utilisation des engrais azotés. La politique européenne en agro-carburants a déséquilibré beaucoup de régions du monde (Brésil, Mozambique, Indonésie,…), alors que la biomasse produite doit d’abord permettre de se nourrir.

L’objectif selon Oxfam Solidarité est 100% d’énergies renouvelables avec un minimum de biomasse et 0% d’énergies fossiles dans les PVD en 2050. Cf campagnes « fossil fuels », leave it in the ground. Les accords internationaux pour le « fonds vert » empire la situation des PVD et vont en plus chercher l’argent sur le budget de l’aide au développement.

Les ONG prônent l’objectif de 1,5°C car beaucoup d’îles du Pacifique vont disparaître avec les 2°C. Il faut également arrêter des soutiens publics à l’extraction des énergies fossiles.CAN fait campagne au niveau européen, 33 milliards sont importés mais avec cette politique, 173 milliards seraient économisés.

Quel financement pour le climat en Belgique ? Vu la fragmentation des politiques « climat » entre les 3 régions, il n’y a pas d’entente pour édifier une politique cohérente belge. Par rapport aux années 90, on a doublé la production de GES dans les transports en Belgique, tandis que dans les autres secteurs, il y a une tendance à la baisse, mais ce notamment en raison de la délocalisation de la production de nos biens de consommation, dont les émissions de GES ne sont dès lors pas prises en compte. Bref; allons manifester à Paris le 29 novembre avec Oxfam et sa campagne Cultivons.be !

Raphaël Stevens : de l’effondrement à la résilience

Raphaël Stevens et co-auteur du livre Comment tout peut s’effondrer avec Pablo Servigne.

Certaines personnes doutent encore, pourtant, les faits amènent une grande certitude. Les catastrophes ne se conjuguent plus au futur mais au présent : baisse des rendements agricoles, crise des migrants, maladies infectieuses, conflits armés, finances sont de plus en plus incontrôlables…

Le doute est une justification des politiques pour ne pas agir, ils se basent sur la croissance qui appartient au passé ! Ces prétextes servent à verrouiller le changement. Les financiers attendent un retour sur investissement et cela interdit le changement également.

Qu’il s’agisse de notre alimentation ou du chauffage, l’énergie contrôle notre vie. 90 entreprises mondiales sont responsables à la hauteur de 63% des émissions de GES depuis années 50. Comme on a besoin de la puissance thermique des énergies fossiles pour assurer le changement, on se tire une balle dans le pied. On a aussi besoin d’un système financier stable pour assurer notre santé, infrastructures…

A cela s’ajoute un verrouillage cognitif : c’est comme l’exemple de la grenouille dans l’eau chaude (elle ressort aussi vite qu’elle est rentrée si elle se jette dans l’eau chaude, mais y reste jusqu’à en crever si l’eau chauffe petit à petit !).

Le technofix (une technologie une fois choisie auto-entretient le modèle technique qu’il sous-tend) bloque aussi le changement politique. Si on sait ce qui se passe grâce aux travail des scientifiques, l’accumulation des données, des connaissances n’est pas suffisante.

Il faut regarder la catastrophe en face et avoir des « alternatives énergies » crédibles. Raphaël Stevens se sent personnellement triste, parfois déprimé ou impuissant. Notre corps physique a des limites. Les mauvaises nouvelles sont difficiles à accepter. Pour aller de l’avant, en mettant toutes les émotions sur le tapis, il faut faire le deuil d’une sortie en douceur en en parlant avec vos proches, cela permet d’avancer, ne plus avoir peur de souffrir, de sortir de la désespérance, de la peur de culpabiliser et de montrer de la détresse.

Ne cachons plus nos émotions. Le déni est un refoulement de masse qui pousse à voter extrême droite, qui amène au burn-out, etc. Solutions : il faut développer la résilience intérieure avec d’autres et se préparer aux chocs !

Retrouver les métiers d’antan. Ex. redécouvrir les propriétés des plantes pharmaceutiques, opter pour l’alimentation naturelle, réouvrir des fabriques de pains, rétablir le lien avec la nature et la terre, y compris en ville. Les activistes du Keelbeek ont reçu un ordre d’expulsion, ils ont besoin de soutien.Toutes ces initiatives sont des jeunes pousses qu’il faut nourrir et encourager.