Organisé par l’Institut de recherches interdisciplinaires sur Bruxelles (IRIB) de l’Université Saint-Louis et la Fondation Pro Renovassistance, le colloque a démarré par un état des lieux préoccupants de la situation du logement à Bruxelles et en Belgique. Les intervenants ont ensuite présenté quelques réponses mais aussi quelques interrogations quant aux solutions possibles.

État des lieux

ieb_logement_marathon_reduit.jpgA Bruxelles, en l’espace de 15 ans plus de 80.000 ménages se sont installés, quand dans le même temps 50.000 logements ont été construits. En ce qui concerne le logement social, son déficit s’élève à 45000 avec une tendance à doubler tous les 10 ans et seul 5% du parc social se libère chaque année. Avec une hausse d’environ 6% du niveau de vie en 12 ans et dans le même temps un accroissement de la valeur immobilière de … 150%, il est de plus en plus difficile pour les classes moyennes de vivre à Bruxelles et leur départ à l’extérieur accroît encore la paupérisation de la ville. A l’échelle de la Belgique, il manque 100.000 logements d’un côté, de l’autre en utilisant 6% du montant de l’épargne belge, on pourrait répondre à ce besoin. Si ce constat est partagé par tous les participants au colloque, les réponses diffèrent, allant des mesures coercitives aux mesures incitatives.

L’arrêté du 26 septembre 2013 en question

Pour limiter cette tendance, on peut classer les mesures prises en deux catégories : celles, nombreuses, qui incitent au maintien ou à favoriser la venue des populations plus aisées dans des secteurs moins favorisés comme les aides à la rénovation de l’habitat, ou à l’inverse, celles moins nombreuses permettant à des ménages défavorisées de rester dans des quartiers plus riches. Cela peut être le cas via les AIS ou l’arrêté du gouvernement de la Région Bruxelles Capitale du 26/9/2013.

cohousing_reduit.jpg L’arrêté bruxellois impose aux promoteurs la construction de 15% de logements « encadrés » ou bien le paiement d’une taxe. Est-ce suffisant ? Le paiement de la taxe ne risque-t-il pas d’être privilégié ? Quelles conséquences pour le nombre de logements sociaux dans le choix de la terminologie « logement encadré » ? Comment vont être attribués les logements en provenance du secteur privé ? Qu’est-ce qui va se passer s’il y a revente du bien ? Et que prendre en compte pour le calcul des 15% : la valeur de l’investissement ou la valeur à la vente ? De nombreuses questions restent en suspens. Une certitude cependant : l’obligation s’il y a paiement de la charge à ce que l’organisme collecteur la dépense dans un délai limité et dans le cadre de son objet.

Changement de stratégie en Flandre

En Flandre, le décret du 27 mars 2009 stipulait que des projets privés de construction de plus de 50 appartements (ou plus de 10 lots) devaient prévoir 10 à 20 % de logements sociaux ou moyens. Si la réalisation était en nature, le promoteur bénéficiait d’un taux de TVA et d’enregistrement plus bas, avec garanti de reprise par le public. Ce dispositif a été contesté par des promoteurs immobiliers et la Cour constitutionnelle a estimé que la charge sociale portait atteinte de manière disproportionnée au principe de la libre circulation des capitaux. Par contre l’objectif visant la création de 55000 logements sociaux n’ayant pas été contesté, le Gouvernement flamand s’est orienté vers une démarche plus incitative et qui s’adresse en priorité aux communes.

Les souhaits de la profession

ieb_logement_pour_tous.jpg De son côté, le milieu de la construction et de l’immobilier veut privilégier la voix de la concertation, souhaitant plus de libertés et moins de contraintes, estimant la contrainte contre-productive. Il dénonce, de manière contradictoire, la faiblesse des investissements belges, et dans le même temps réclame une diminution des droits d’enregistrement ou de certains taux de TVA. Il est ouvert à une évolution dans les modes de financement comme le tiers investisseur via une société de services énergétiques (ESCO) qui offre la possibilité de financer des travaux d’économies d’énergie et qui se rémunéreront sur les économies réalisées.

Les Sociétés d’investissement à caractère sociale comme Inclusio, les mécanismes de Sale and leaseback (la vente d’un bien immobilier tout en restant occupant de celui-ci), la loi Pinel qui en France permet des déductions d’impôt pour les ménages qui investissement dans du logement locatif social, le prêt à taux zéro ou les aides de Citydev qui s’élèvent à 30% du prix d’un logement neuf pour « acheter l’appartement ou la maison de ses rêves » ont sa préférence. Il propose des partenariats publics privés pour favoriser le logement moyen soit en location, soit à l’acquisition. C’est par exemple le cas du programme Bon Pasteur à Evere. Cette solution permet de bénéficier d’un taux réduits de TVA et de subsides. Pour aller plus loin, il estime que ce taux de TVA, aujourd’hui de 12% chez les acteurs privés pour les logements sociaux peut s’aligner sur les 6% du secteur public car cette modulation respecte la législation européenne. Enfin, il trouve que les CLT ou l’emphytéose peuvent aussi être des solutions favorisant le logement social par le privé.

Les politiques menées à Bruxelles et en Wallonie

La Région Bruxelles capitale compte inciter les communes à développer l’offre en logement social, en favorisant la mixité tout en tenant compte de l’existant (SISP, AIS, Régie Foncière, CPAS…). Elle a mis en place un conseil de coordination, un référent logement qui aura entre autres pour but de rapprocher citoyens et promoteurs publics. Des subsides sont prévus pour faciliter la conversion de bureaux en logements et le Plan régional logement vise la construction de 500 logements publics par an.
immeuble.jpgEn Wallonie, 10% de logements (sociaux, mais aussi d’urgence, d’insertion…) : c’est la règle qui s’impose aux communes mais les pénalités de 10.000€ par logement non réalisé (par rapport à un engagement pris des communes, sans forcément atteindre les 10%) ne sont jamais appliquées. Quant aux aides du Fonds du logement, elles sont principalement réservées aux communes qui dépassent les 10%.

A Bruxelles Ville, le plan logement a permis la création de 1.053 unités depuis 2006 dont 239 qui bénéficient d’un loyer à caractère social. La Ville de Bruxelles a également développé des infrastructures collectives dans la foulée de cette création de logement. D’ici 2018, 842 logements supplémentaires devraient aussi voir le jour.

A Namur, c’est la voie de la concertation et de la transparence qui est choisie par le biais d’un engagement entre le promoteur, la commune et l’AIS d’une durée de 3 à 9 ans sur une partie des constructions nouvelles. Depuis juin 2015, 75 engagements ont été pris mais il concerne surtout le logement moyen.

Quelques points de comparaison en Europe

L’équilibre entre public et privé, coercition et incitation, protection et régulation n’est pas facile à trouver. La France dispose de beaucoup de règles mais la situation n’évolue guère : depuis 1990, le millier de communes qui doit attendre l’objectif des 20% plafonne depuis 20 ans à un peu plus de 13%. En Angleterre, le peu de règles laissent une grande part d’appréciation aux tribunaux et n’incitent guère à la construction de logements accessibles. En France on expulse difficilement mais une fois expulsé, le relogement est très difficile. A l’inverse, au Danemark, les expulsions sont faciles et le relogement immédiat. Ce qui est clair c’est que les pays européens où il y a le plus de propriétaires, l’Albanie, la Roumanie et la Bulgarie ne sont pas les mieux loties concernant le droit à l’habitat si on les comparent au pays où il y a le plus de locataires : la Suisse, la Finlande et les Pays Bas.

Les CLT, un outil qui bouscule les règles et les habitudes

clt_red.jpg Le choix d’une solution intermédiaire comme les CLTs est un élément de réponse. En effet, si les programmes sociaux d’accès à la propriété existants permettent à des familles à bas revenus d’acquérir un bon logement, ils ne contribuent pas à construire une politique sociale durable pour la collectivité puisque chaque revente d’un logement ayant fait l’objet d’un subside est réintégré au marché libre.

Le CLT permet un démembrement de la propriété du sol et du bâti et une formule limitant le prix de revente du bâti : il garantit l’accessibilité à long terme du foncier et du bâti. Le CLT est géré démocratiquement par les détenteurs des droits d’usage, des représentants des quartiers, et des représentants des pouvoirs publics. Le droit d’usage du sol se formalise sous la forme d’un droit d’emphytéose pour l’usage du terrain concédé par le CLT au propriétaire du bâti. La subvention acquise au départ n’est donnée qu’une seule fois. Elle reste ensuite attachée au logement et n’est pas empochée par le ménage vendeur. En cas de revente, la plus-value est répartie en trois parties : 25% de celle-ci est donnée au ménage vendeur, 6% de la plus-value est captée par le CLT et 69% est déduit du prix de vente au second ménage. En conclusion, si le CLT s’inscrit dans la conception des biens communs et de la responsabilité sociale partagée, il reste encore à trouver des réponses juridiques conformes au droit belge en cas de revente, succession…

Notre avis

A Bruxelles le rythme prévu de construction ou de rénovation des logements publics sociaux ne permet pas de répondre au besoin : il faudrait environ16 ans pour y répondre, en comptant aussi un taux de 5% de libération des logements sociaux mais c’est sans compter un accroissement de la demande. Et sur les 2200 logements sociaux à rénover, avec le plan de financement en cours (365 logements sur 3 ans), il faudrait alors 18 ans pour résorber le parc à rénover.

Pour accélérer le processus, les acteurs du privé sont sollicités et ces derniers demandent assouplissements et facilités. Mais, si cela peut éventuellement offrir une réponse plus rapide, c’est en quelque sorte une privatisation de l’aide car cela offre la possibilité au promoteur ou au propriétaire d’obtenir une belle plus-value en cas de revente sur le marché libre de l’immobilier, encaissant le bénéfice d’un subside ou d’un taux privilégié de TVA. C’est ce qu’a mis en évidence le Groupe de travail Habitat d’Associations 21.