Le défi maintenant est celui des alliances: nous devons essayer de porter le plus possible un message commun, et le faire parvenir au-delà de nos réseaux associatifs de convaincus. C’est ce que le CNCD-11.11.11 essaye de faire au quotidien, en tant que coordination de multiples plates-formes.


Les déçus de Rio+20 (dont les Belges) critiquent vertement le
gouvernement Brésilien pour sa gestion de l’événement Rio+20. A ton avis, cette charge est-elle justifiée ?

En partie. Dilma Rousseff ne pouvait pas se permettre un échec à Rio: le Brésil s’est battu pour avoir cette conférence dont beaucoup ne voulaient pas, il aurait été encore plus critiqué. Sans compter qu’on est en période pré-électorale ici, pour les municipales. Donc les Brésiliens ont forcé la mains aux autres pays pour aboutir à quelque chose, même très faible. D’un autre côté, la responsabilité est partagée avec tous les autres pays, qui ne sont pas parvenus à avancer au cours des six derniers mois, et qui ont de plus accepté sans vraiment broncher la décision brésilienne de clôturer les négociations.

Toi qui a vécu au Brésil et y comptes beaucoup d’amis, quelle est leur perception de l’événement Rio+20 ?

Il faut distinguer je pense la perception des “gens de la rue” de celle des mouvements sociaux. Ces derniers étaient surtout très investis dans le Sommet des peuples et ont un regard très critique sur ce qui s’est passé. La presse aussi a mis en évidence la faiblesse de l’accord, malgré la communication très positive de Dilma et de son gouvernement. Quant aux gens de la rue, j’ai surtout constaté chez eux une grande fierté qu’un tel événement soit organisé à Rio. Je ne suis pas sûr que les enjeux aient vraiment été mis en évidence dans la presse.

Le Sommet des Peuples a-t-il été une réussite ?

Pour moi, oui. Au moins 20.000 personnes y ont participé, sans compter les 80.000 de la grande manifestation de jeudi. Et le Sommet des peuples est parvenu à une déclaration finale dessinant les grandes lignes du “futur que nous voulons”. C’est une première, quand on sait que le Forum social mondial a toujours refusé d’aboutir à une déclaration finale. Maintenant, ce qu’il faut, c’est qu’on mette la main à la pâte pour définir beaucoup plus concrètement des revendications et des actions à mettre en place. Et renforcer les alliances entre tous les types d’acteurs, ONG, syndicats, mouvements sociaux, etc.

Au niveau international, certaines ONG se sont clairement distanciées de la Déclaration de Rio+20, refusant de la cautionner. D’autres l’ont critiquée sans pour autant se positionner en rupture avec l’ensemble du processus. Quid du CNCD-11.11.11 ?

La déclaration finale est une grande déception pour nous. Elle n’est clairement pas à la hauteur des enjeux auxquels le monde fait face. Nous savions depuis longtemps que Rio ne serait pas le grand sommet qui permettrait de changer de modèle, comme nous le réclamons. Mais nous espérions au moins quelques orientations concrètes qui permettent d’amorcer la transition vers des sociétés plus durables. Au final, tout a été retiré.

Mais par contre, nous continuons à croire à la nécessité de ce genre de rencontres internationales. Nous ne parviendrons pas à résoudre les problèmes mondiaux uniquement à partir des initiatives locales. Celles-ci sont essentielles pour avancer, mais il faut les transformer en décisions politiques si nous voulons une véritable réorientation du modèle de développement actuel.
Donc oui, nous rejetons cette déclaration, mais non, nous ne rejetons pas l’ensemble du processus.

Comment concevoir à présent le multilatéralisme ?

Il faut une réforme en profondeur des institutions internationales, qui ont beaucoup perdu de leur force et de leur cohérence. Cela signifie pour moi qu’il faut revoir les modes de décision et la hiérarchie des normes. Il n’est pas normal que le commerce, si utile puisse-t-il être, passe avant les droits humains et puisse se faire à leurs dépens. Concrètement, je pense que la première étape serait de revoir les processus de négociation pour d’abord se fixer des objectifs clairs et contraignants (en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de diminution des inégalités, par exemple), pour ensuite se répartir la tâche à l’intérieur de ce cadre. Mais il faut aussi intégrer clairement l’OMC, le FMI et la Banque mondiale dans l’ONU et revoir leurs modes de décision. Sans compter la question de leur financement, qui pose sérieusement question, comme l’a mis en évidence Olivier Hoedeman.

Et comment la société civile belge devrait-elle à présent s’organiser par rapport à ces enjeux mondiaux ?
Le défi maintenant est celui des alliances: nous devons essayer de porter le plus possible un message commun, et le faire parvenir au-delà de nos réseaux associatifs de convaincus. C’est ce que le CNCD-11.11.11 essaye de faire au quotidien, en tant que coordination de multiples plates-formes.

Toi qui avais l’âge de Severn Susuki en 1992, quel message voudrais-tu à présent adresser aux citoyens belges par rapport au « futur que nous voulons ?

J’ai toujours à peu près le même âge qu’elle, on a juste tous les deux pris vingt ans sans que rien ne change beaucoup! Si je devais résumer en quelques mots ma pensée après Rio, je dirais: “N’ayez pas peur du changement! Agissons, d’urgence et de façon très concrète, pour faire basculer notre société de la course à l’avoir vers une quête de bien-être. Nous n’avons pas le choix, il nous faut revenir dans les limites de la planète, qui sont largement dépassées aujourd’hui. Donc allons-y dans la bonne humeur, au bout du chemin ce n’est pas le retour au Moyen-Âge mais une société plus juste et plus durable.”