Il n’y aura pas de changement durable sans adhésion, et pas d’adhésion sans enthousiasme. Il y a aussi un énorme besoin de passer à l’action. Depuis quelques années, d’ailleurs, les initiatives se multiplient : groupes d’achats solidaires, filières courtes, alternatives énergétiques… Reste à passer le seuil critique du changement de paradigme. Celui-ci ne sera possible que s’il est inscrit au niveau politique international.


Véronique, tu viens de publier une étude intitulée « Rio+20 : l’abîme ou la métamorphose ? »

Oui, ce titre est inspiré de l’article d’Edgar Morin « Eloge de la métamorphose », paru dans Le Monde en janvier 2010 (repris en postface). Edgar Morin est sociologue et philosophe, il s’est illustré en tant que penseur de la crise et du changement. Aujourd’hui, à la veille de Rio+20, son article est plus que jamais d’actualité : notre monde contemporain est en crise, et nous sommes à un carrefour de choix de société. La conférence de Rio+20 est une étape importante au niveau international pour le changement de cap nécessaire.

Cette étude accorde une large place à l’histoire. Pourtant, l’abîme, on a l’impression de connaître, non ?

Oui, l’abîme, c’est l’essoufflement de la croissance, l’aggravation des inégalités sociales, le dépassement des capacités naturelles de la terre. On en entend parler tous les jours dans nos médias. Avant d’imaginer prôner un quelconque changement, il nous paraissait essentiel d’être précis dans notre constat. Par ailleurs, on comprend souvent mieux l’actualité à la lumière de l’histoire, c’est pourquoi nous avons jugé utile de revenir à l’origine de concepts tels que la croissance et le développement. C’est d’ailleurs amusant de se rendre compte qu’ils ne se sont imposés qu’après la seconde guerre mondiale, c’est très récent dans l’histoire de l’Humanité.

Et maintenant, nous voilà avec l’économie verte sur les bras ! Pourquoi est-ce une fausse bonne solution ?

On pourrait écrire un livre entier pour répondre à cette question ! L’économie verte prétend apporter la solution économique au problème écologique mais elle n’est pas LA solution à tous les maux de la planète, et certainement pas une fin en soi. L’économie doit être un moyen au service de l’humain, et pour respecter les limites environnementales, nos modes de production et de consommation doivent aujourd’hui être profondément remis en question. Nous consommons chaque année beaucoup plus de ressources que ce que la terre a à nous offrir ! On entend beaucoup parler de « relance », mais les bonnes questions ne sont pas toujours posées. La principale critique que nous faisons à l’économie verte est qu’elle ne questionne pas nos modes de production et de consommation.

Alors, à tout prendre tu préfères le concept de développement durable ? Ou la résilience ?

Le concept de développement durable est souvent critiqué, voire considéré comme « gazeux ». Je pense personnellement qu’il a les défauts de ses qualités : s’il peine à s’imposer depuis 20 ans, c’est parce qu’il reflète la diversité et la complexité de notre monde. Le décliner à tous les échelons politiques, du local au global, n’est pas une mince affaire ! A présent, des personnalités comme Dennis Meadows disent qu’il est trop tard pour parler de durabilité, mais qu’il faut prôner la résilience, c’est-à-dire le renforcement des capacités d’adaptation de nos sociétés aux crises. À travers cette idée, ce sont les piliers de notre système actuel qui sont remis en question, par le biais d’une remise en connexion avec la nature, par le renforcement du lien social, et par le questionnement de nos fondements économiques.

Passons donc à la métamorphose, c’est plus enthousiasmant !

En effet, c’est d’ailleurs une des conditions de la réussite de la transition : être capable d’être à la fois réaliste et positif dans nos démarches comme dans nos communications. Il n’y aura pas de changement durable sans adhésion, et pas d’adhésion sans enthousiasme. Il y a aussi un énorme besoin de passer à l’action. Depuis quelques années, d’ailleurs, les initiatives se multiplient, il y a un véritable bouillonnement : groupes d’achats solidaires, filières courtes, alternatives énergétiques… Reste à passer le seuil critique du changement de paradigme. Celui-ci ne sera possible que s’il est inscrit au niveau politique international et accompagné de dynamiques sociales collectives qui combinent action et rappel de leurs responsabilités à nos élus politiques.

C’est pour ça qu’on est à Rio, n’est-ce pas ?

Oui, Rio+20 est l’occasion d’inscrire la transition dans le cadre politique international. Nous sommes là pour faire entendre la société civile auprès des gouvernants. Nous avons une vision, des expériences, nous nous concertons… Nous voulons éviter que cette conférence se trompe de route, en prônant l’avenir que nous ne voulons pas et en reconnaissant la toute-puissance à l’économie verte ! Nous voulons éviter que la conférence ne trébuche (comme ce fut le cas à Copenhague en 2009 avec un accord a minima conclu la dernière nuit par quelques-uns), voire que le manque de clarté des textes ouvre la porte à la marchandisation des ressources. Enfin, nous craignons que la conférence n’écoeure : les Nations Unies et le Brésil, en tant que pays hôte, ont voulu un processus ouvert et participatif, mais les initiatives sont multiples et les contributions très nombreuses. Si tout le monde se perd dans le processus, cela risque de le délégitimer. Au niveau belge, la société civile a accordé préalablement ses violons au sein de la Coalition belge Rio+20, et nous nous appuyons à présent sur notre plaidoyer commun pour soutenir les négociateurs belges !

Quelles sont tes premières impressions de la conférence ? Crois-tu qu’elle permettra cette métamorphose, joliment décrite par Edgar Morin ?

Croire au changement est la condition sine qua non ! Rio+20 est une étape de ce changement. On connaît la lourdeur et la complexité des négociations internationales, autant de pays autour de la table, autant d’enjeux sociaux, économiques, environnementaux, politiques, culturels… Le résultat sera un consensus mou, et notre bilan de la conférence est déjà évident puisque le texte initial des négociations manque de vision ! La déclaration politique de la conférence permettra cependant de poser quelques balises pour entamer le changement de cap, notamment un processus pour la définition d’objectifs de développement durable. Les mouvements sociaux et les ONG continueront de pousser à la valorisation des alternatives et à la prise de décisions concrètes pour accélérer la métamorphose.

 Etude en ligne