Retour sur le colloque organisé le 9 décembre 2013 par Bruxelles Environnement et l’asbl Rencontre des Continents: depuis 2011, la Région de Bruxelles Capitale lance des appels à projets “alimentation durable”: en voilà les résultats, quelle belle diversité d’initiatives! Quelles conclusions et recommandations inspirent-elles? Echo des présentations et des débats.


Programme

Présentation de l’exposé de la matinée (1ère partie)

Sur base d’une définition de l’alimentation durable selon le RABAD, Joëlle Van Bambeke, de Bruxelles Environnement, a évoqué l’enjeu de valoriser les résultats des actions réalisées depuis 2011 dans le cadre des appels à projet « alimentation durable » de la Région de Bruxelles Capitale (RBC), comme par exemple la formation des maîtres cuisiniers par Rencontre des Continents (RDC): au-delà d’une vision environnementale, ces actions ont aussi une dimension sociale, elles visent le respect des droits humains, les cultures culinaires….

Ces appels à projet visaient essentiellement à soutenir la demande. Ils ont été complétés en 2013 par le lancement de l’Alliance Alimentation durable visant à soutenir l’offre. La transition vers un système d’alimentation durable se veut collaborative et inclusive, la capacitation des publics précaires étant prioritaire.

Sur cette base, la RBC est lead partner d’un réseau d’échanges de bonnes pratiques entre villes, Urbact (Sustainable Food Urban Communities) dans le cadre duquel elle a réalisé un plan d’action local pour une alimentation durable accessible à tous et adoptée par tous. Les projets se multiplient ainsi avec les cantines, écoles, critères pour les marchés publics, etc. Avec également l’objectif de créer de nouveaux emplois, notamment via des modes de distribution durables.

Sébastien Kennes, de Rencontre des Continents-RDC, a présenté l’approche multidisciplinaire de cette asbl qui fait de l’éducation populaire au départ de l’assiette: les publics urbains étant déconnectés des réalités de la production alimentaire, RDC pointe qui se cache derrière chaque aliment et promeut la souveraineté alimentaire, bafouée non seulement au Sud mais aussi chez nous. Se référant à Pablo Servigne (Nourrir l’Europe en temps de crise), Sébastien Kennes pointe l’enjeu de la résilience, d’où l’importance de politiques publiques soutenant une multiplicité de modèles et non pas seulement le modèle dominant.

Et parce que le chemin se fait en marchant, Astrid Galliot (RDC), entame la ronde des expérimentations concrètes avec la présentation du projet des maîtres cuisiniers, soutenu par de nombreux partenaires: au départ d’animations et de rencontres (1ère phase), il s’agit de renforcer savoirs et savoir faire par la formation et l’expérimentation, au départ de ce que les gens savent et souhaitent (2ème phase), puis d’accompagner des actions collectives émergeant de ce processus (phase 3). 120 personnes représentatives de la diversité culturelle et sociale de Bruxelles, ont participé à la 1ère phase, 23 à la 2ème, pour terminer à 15. Vu les difficultés linguistiques et d’écriture, un dessinateur a accompagné le projet et créé des affiches pour l’usage de chacun.e.

Bilan de l’opération: au-delà des freins et des leviers, le collectif a démontré sa force émancipatrice, surtout lorsque son ancrage associatif permet que les actions mises en place se poursuivent. Le soutien de la RBC a permis que le projet se construise au fur et à mesure, tout comme l’on construit l’alimentation durable ensemble, étape par étape, sans en parler dès le départ. La recherche action favorise ainsi le sentiment d’appartenance à un groupe et à une démarche commune.
Cf la fiche de Bruxelles Environnement et le carnet de l’animateur.

La diversité bruxelloise, c’est aussi celle des projets!

Au CARIA, une association de la rue Haute, un potager pédagogique a été créé avec des enfants et Le Début des Haricots. Les adultes en alphabétisation ont eux participé à un atelier cuisine avec les légumes du potager. Ensuite ils ont fabriqué des potagers de fenêtre. En parlant santé, anciennes recettes, analyse des étiquettes, l’idée d’une « assiette vitalité » a abouti à la réalisation de set de table. Ainsi se fait la promotion de repas sains et peu onéreux, bien qu’il reste difficile de changer les habitudes alimentaires.

Au Comité de la Samaritaine, on a créé “Les lendemains gourmands”. Au départ, un restaurant social, et son public de personnes très précarisées qui ont voulu rester dans les Marolles. D’un côté donc, l’urgence alimentaire, de l’autre, les déchets du restaurant social. Comment réduire ceux-ci?
Avec les maîtres cuisiniers de Rencontre des Continents, on a appris à moduler les portions, en fonction des besoins de chacun, et à tenir compte du fait que les habitants n’ont pas tout ce qu’il faut chez eux pour cuisiner le contenu des colis qu’ils reçoivent. Ainsi des bénéficiaires peuvent participer à des ateliers cuisines et ramener chez eux ce qu’ils ont cuisiné. La formation a donc été adaptée au public précaire.

Dominique Nalpas de Bouillon Malibran, nous présente les ateliers de cuisine hybride: pour rapprocher les circuits courts du goût du lointain, vu la diversité des populations. Voici donc une nouvelle conjugaison du global et du local. Au départ, les banquets de la rue Malibran à Ixelles avaient permis la rencontre entre des cuisiniers d’origine diverses et des “durables”. Bouillon Malibran croise donc l’environnement et le social. Dans chaque atelier, un ou une cuisinière du quartier amateur.e et un.e professionnel.le. Ensemble ils recherchent avec quels produits adapter les recettes des divers pays aux produits locaux et de saison. A la fin de l’atelier avec une quinzaine d’intéressés, les amateurs de cuisine hybride sont conviés à la dégustation, dans une ambiance conviviale…

Chez Amazone, un centre de ressources pour l’égalité hommes-femmes rue du Méridien à Saint-Josse, il y aune trentaine d’associations locataires, un restaurant, des salles pour séminaires… Et un espace intérieur où ont été construits des espaces surélevés cultivés dans le cadre du projet “beste groenten Madame!”. De la sorte, des femmes du quartier ont investi ce jardin collectif entièrement comestible (il y a même des arbres fruitiers!) Cela a permis de conforter leurs confiance personnelle et leurs compétences. Mais une fois le subside clôturé, il n’est pas facile de maintenir la dynamique… Il faut à présent que les associations présentes sur place et le restaurant reprennent l’initiative à leur compte.

Nous voilà à présent à l’Espace femme de Jette et à ses « Tables du monde, ici comme ailleurs »: dans cet atelier cuisine, on sensibilise pour changer les habitudes, on échange sur les alternatives comme l’idée d’un groupe d’achat solidaire en milieu populaire, on s’accomode de l’irrégularité dans la participation, pour éviter de renforcer le rôle socialement construit des « femmes à la cuisine ». Petit à petit, les graines poussent, les consciences s’affermissent, dans la force du groupe…

Bruxelles Environnement de son côté est allé visiter une initiative à Bristol, au Royaume Uni. Les zones défavorisées y sont des « déserts alimentaires », on n’y trouve pas d’alternative aux grandes surfaces et aux fast-food. Dans les années 90, un groupe local d’action s’est mis sur pied pour créer plus d’égalité dans l’accès à des modes de vie sains et respectueux de l’environnement: jardins communautaires bio, poules, achat de produits frais et locaux (« good food for all »), cours de cuisine-nutrition dans « the people’s kitchen », surtout pour les parents de jeunes enfants qui n’ont pas bénéficié de la transmission culinaire, et ont tendance à acheter tout fait. Le tout rencontre un grand succès. Chaque cours coûte 1,5€ et on peut ramener le plat à la maison.

Les Mutualités Socialistes ont ensuite présenté une étude sur l’accessibilité à une alimentation de qualité (slides 51 à 77). On en retient les principaux facteurs qui influencent le consommateur: externes (environnement), indivuels et psychologiques… Car les classes intermédiaires ne sont pas homogènes. Un réseau social développé modère l’effet de pauvreté. L’arrivée d’un enfant augmente l’attention aux normes. Les accidents de la vie la diminuent. Lorsqu’on mange devant la TV, on fait moins attention aux signes de satiété, tandis que la commensalité (fait de manger à plusieurs) favorise la pression normative et réduit les excès. D’où l’importance de sociabiliser les repas… Cependant, il y a quand même un « gradient social »: les normes nutritionnelles se heurtent aux appartenances sociales. D’où l’importance des campagnes et actions présentées ici.

La Commune d’Etterbeek a lancé quant à elle le Défi Alimentation Durable, après avoir organisé toute une série d’activité sous le label Commune “Ferme à la ville”, très appréciées mais qui touchaient des personnes déjà sensibilisées et dont l’impact n’était pas mesurable. D’où l’idée de s’inspirer du modèle du défi énergie promouvoir l’alimentation durable auprès d’un public moins sensibilisé.12 ménages ont participé en 2012, 13 en 2013. Pendant 5 mois, toutes les 2 semaines, ils expérimentaient, visitaient, échangeaient autour d’un repas convivial…Certains sont devenus des « ambassadeurs de l’alimentation durable », un Recueil des ménages a été constitué, un livre reportage est également prévu. Les groupes ont été constitués via le CPAS et le milieu associatif de façon à rassembler des personnes d’origines diverses et notamment des ménages ayant peu de moyens financiers. Cette phase de recrutement est primordiale. L’approche positive, par le plaisir, favorise la cohésion de groupe. Les participants ont particulièrement apprécié le fait que cette activité puisse être familiale, et soit surtout pratique. Cela aide à « s’y mettre »!

Avec l’alimentation durable à l’ULB, Alexandra Demoustier nous fait entrer dans une nouvelle dimension. Là, les partenaires sont l’université et ses autorités, Sodexho (2 restaurants, 4 campus), l’association d’étudiants Campus en Transition, Bruxelles Environnement et Marie-Noëlle Dubus (ateliers culinaires « qu’est-ce qu’on mange au kot »). Public: 24000 étudiants, 3500 membres du personnel! Rien qu’au Solbosch et à la Plaine, on compte 17000 étudiants, 3000 membres du personnel. En 2009, l’offre en alimentation durable était quasi inexistante et les initiatives des étudiants, peu pérennes. La démarche a dès lors été de travailler sur le cahier des charges de Sodexho qui devait être remis en janvier 2013. Il a fallu 3 ans pour y introduire de l’alimentation durable, à budget inchangé. Maintenant, le Solbosch accueille un marché hebdomadaire, le mardi de 16h à 18h30 avec la coopérative Agricovert. Sodexho est obligé d’acheter les produits d’Agricovert, et pratique de surcroît le « jeudi veggie ». Bravo les écoconseillères de l’ULB pour un tel succès !

Les Groupes d’achat solidaires de l’agriculture paysanne (GASAP/SAGAL) sont eux, des groupes relativement homogènes, en tout cas sur le plan socio-culturel. D’où l’idée d’un GASAP social pour diversifier les membres et inclure des publics précarisés. La précarité n’est pas qu’économique. Il y a des personnes isolées, socialement, sur le plan linguistique ou de l’accès à internet. Aussi, chacun connaissait des gens qui n’avaient pas pu ou voulu s’inscrire ds un GASAP à cause du paiement anticipatif, du non-choix des produits… Mais il y a aussi des leviers: le fait que ce soit du vrai circuit court, des produits sains, savoureux… In fine les hésitants peuvent faire appel à un représentant des GASAP pour obtenir des précisions sur les différentes formules possibles, plus ou moins engageantes. Ces rencontres permettent de surmonter bien des à priori.

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À l’école n°2 de Schaerbeek, le projet De la terre à mon assiette a permis de créer un potager sur un toit avec une 3ème maternelle. Vu le succès, toute l’école s’y est mise et le potager a débordé sur la cour de récré. Grâce à l’aide de divers partenaires, les enfants sont devenus jardiniers ou cuisiniers. Le tout a pris des proportions impressionnantes: il a donc fallu rassurer les parents, rapidement enthousiasmés et impliqués. A présent, il y a 8 carrés potagers, une partie de la cour de récré est dé-dallée et ce n’est pas fini. Voilà que les petits de 1ère maternelle s’y mettent! Ceux-là, dans 3 ans, ce seront des pro!

À la Maison Verte et Bleue de Neerpede (Anderlecht), on est entre ville et campagne. Dans le cadre du projet « manger local », des rencontres sont organisées avec les 4 producteurs actifs sur place, dont la dernière ferme laitière de Bruxelles. Ces visites-vente directe attirent beaucoup de monde, en particulier des habitants de Cureghem qui, assez pauvres, ont été soutenus pour constituer des groupes d’achat. À présent, en janvier 2014, un projet d’économie sociale voit le jour avec des femmes qui étaient maraîchères dans leur pays d’origine et peuvent ainsi valoriser leur savoir-faire.

La coordinatrice Agenda 21 de Berchem St Agathe nous présente son projet d’épicerie sociale, en passe d’être inaugurée. Constat de départ: les colis alimentaires distribués ne répondaient pas aux besoins des usagers: pas assez de variété, pas de produits frais, pas de choix possible des produits.
Et donc beaucoup de déchets… À l’épicerie sociale, il y aura un espace cafetaria, un cyber-espace, des ateliers cuisine ou de nettoyage écologique, de l’aide à la recherche d’emploi ou de logement…. Des invendus du marché matinal y seront distribués et des partenariats avec des producteurs locaux, recherchés. 8 personnes représentant le public visé par le projet ont participé à la mise en place des ateliers. Ils ont ainsi pointé que les enfants qui poussent à la consommation de produits préparés. La cohésion du groupe a permis une entraide entre parents et un effet de contagion des enfants! Quand il y a du soutien, ça marche!

Et pour l’avenir?

Le débat en plénière fait émerger le constat que la sensibilisation est une oeuvre de longue haleine, avec du one shot ça ne marche pas, il faut toujours recommencer. Or, selon les critères d’octroi de subsides, il faut toujours être novateur. Ce n’est pas toujours possible, ni souhaitable!

Catherine Rousseau du Cabinet Huytebroeck, remarque à travers tous ces projets que la diffusion d’une alimentation de qualité vers tous les milieux de la diversité social et culturelle, nécessite la mise en place de nouvelles collaborations. Or au niveau politique, on met le volet « aide » dans le social et le reste dans l’économie. Il faut ré-concilier ces programmes cloisonnés! D’autres participants au colloque pointent l’enjeu de la production par trop déconnectée de la consommation et l’importance d’associer les acteurs économiques à de tels échanges. Groupe One qui accompagne des candidats entrepreneurs, est en tout cas présent.

Et quid des solidarités inter-régionales? C’était bien l’objet du colloque bilingue organisé le 17 avril 2013 par Associations 21 et Wervel, dont voici les conclusions et recommandations. A présent, reste à faire le lien entre tout ce bouillonnement et l’Alliance Alimentation Durable…

En vue de construire un plan d’action local pour une alimentation durable accessible à tous et adoptée par tous, les questions suivantes ont été débattues par 6 groupes (synthèses):

  1. Quelle(s) politique(s) de prix équitable/juste pour les producteurs et consommateurs en AD ?
  2. Quelle visibilité pour l’AD ?
  3. Quel(s) rôle(s) et quelle(s) responsabilité(s) des différents acteurs dans l’accompagnement des publics ?
  4. Quelle(s) articulation(s) entre toutes les initiatives locales et régionales et pour quelle(s) finalité(s)?
  5. Quelles méthodologies éducatives, émancipatrices à mettre en place avec ce public cible ?
  6. Comment amener un questionnement sur l’alimentation durable et un passage à l’action chez les jeunes ?

 Fiches projets alimentation durable soutenus par Bruxelles Environnement

 Une page a également été créée sur le blog Sustainable Food in Urban afin de faciliter le transfert des informations

 Contact à Bruxelles Environnement: Quentin Crespel

 Contact à Rencontre des Continents: Sébastien Kennes