Les pouvoirs publics notamment européens se préoccupent de plus en plus de la famille:

 Une communication de la Commission sur le changement démographique a été adoptée en octobre 2006 qui insiste notamment sur la nécessité de développer des mesures (congés parentaux, places d’accueil dans les crèches, …) facilitant, tant pour les hommes que pour les femmes, la conciliation entre travail et famille.

 Lors du Conseil européen des 8-9 mars 2007, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont donné leur accord à la mise en place d’une Alliance européenne des familles. Cette Alliance a été proposée par la Ministre allemande de la Famille, Ursula von der Leyen, et “servira de cadre à l’échange de vues et de connaissances concernant les politiques adaptées aux besoins des familles, ainsi qu’à l’échange de bonnes pratiques entre les Etats membres ».

 Chaque année, la Commission publie un rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

A la lumière des débats actuels sur l’avenir de l’Europe, il est permis de se demander quelles finalités sous-tendent ces politiques apparemment généreuses.

Des éléments apparaissent rapidement à la lecture des documents. La réponse de la Commission aux évolutions démographiques s’inscrit avant tout en termes de maîtrise des dépenses budgétaires et des pénuries de main d’œuvre liées à la problématique du vieillissement de la population: allongement de l’âge de la retraite, augmentation du taux d’emploi des travailleurs âgés, limitation des dépenses de santé, reprise de la natalité, promotion de l’immigration de main d’œuvre sur une base temporaire,…

Quant à l’Alliance pour la famille, sa création a été motivée par l’objectif de participation accrue au marché du travail via le développement de politiques « family friendly ».

Enfin, la pleine exploitation de l’égalité des genres en faveur de la stratégie européenne pour la croissance et l’emploi est présentée comme l’un des défis à relever par cet axe politique.

Il apparaît donc clairement que, conformément d’ailleurs au Traité de Rome signé en 1957, la finalité de l’Union européenne est avant tout économique et que les différentes politiques mises en œuvre avec une dimension familiale ne servent qu’à construire un contexte favorable à la nouvelle stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi mise en œuvre depuis 2005. Mais cette politique est-elle en rapport avec la réalité des familles et avec leurs aspirations ? Il est permis d’en douter.

Travail ou enfants: ne pas devoir choisir

En 2006, la Ligue des Familles a organisé une Conférence citoyenne sur le thème « Réconcilier travail parental et égalité entre les hommes et les femmes : repenser l’emploi et la richesse » qui a réuni 23 participants de profils aussi diversifiés que possible pendant quatre demi-journées.

Cette démarche visait, au-delà de la formulation de recommandations sur base du constat des difficultés rencontrées par les personnes pour concilier vie familiale et vie professionnelle à réinterroger le cadre sociétal et macro-économique dans lequel s’inscrit cette problématique. Quelles relations entre travail et emploi ? Quelles sont, par-delà la question de la gestion des temps, les motivations des parents qui revendiquent de pouvoir arrêter, temporairement ou non, leur activité professionnelle pour s’occuper de leur famille ?

Un certain nombre de participants disaient se sentir contraints, pour des raisons financières, de conserver un temps de travail rémunéré difficilement compatible avec leur vie de famille. D’autres par contre, ayant souvent pu développer une carrière avant d’avoir des enfants, disaient ne pas souhaiter lâcher du lest par rapport à leur emploi.

Plutôt que la consommation, les participants à la conférence citoyenne ont évoqué, comme élément fondamental de leur qualité de vie, la nécessité de pouvoir équilibrer leur temps de travail rémunéré avec leurs engagement personnels, de pouvoir réaliser des choix réversibles et sécurisés sur le plan de la sécurité sociale, d’avoir la capacité de s’investir au niveau de l’éducation et de la construction du lien affectif avec leurs enfants.

En résumé, il est apparu que la sphère non professionnelle devait être revalorisée comme un espace d’autonomie et de liberté de choix par rapport à la sphère professionnelle. D’autant plus que notre temps de travail rémunéré ne représenterait en moyenne que 8% de notre temps de vie (d’après l’étude du Groupe TOR de la VUB, “Le temps des Belges” publiée en 1999, qui convertissait le temps de travail rémunéré moyen de l’ensemble des Belges de 12 à 95 ans -14h14 min par semaine- en le temps consacré par un individu à son activité profesionnelle sur l’ensemble de sa vie).

C’est dire que les arbitrages dans l’affectation de notre temps dépassent l’alternative travail rémunéré/famille et que la place des activités sociales (du bénévolat, en particulier), des loisirs, des transports, de la télévision, de la consommation, sont à considérer également.

Hommes et femmes: des rôles toujours différents.

Une enquête INS (C’est du belge… L’emploi du temps en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles, 2001) montre que la charge de travail hebdomadaire totale (comprenant emploi, tâches ménagères et familiales, soins et éducation des enfants) est en moyenne de 35h02 pour les hommes et de 37h35 pour les femmes, soit 2h33 de plus. La répartition de la charge de travail est, de plus, très inégalement répartie. Les hommes consacrent, en moyenne, 18h29 par semaine au travail rémunéré (la population interrogée est âgée de 12 à 95 ans), soit 8h10 de plus que les femmes. Ces dernières, par contre, passent sensiblement plus de temps aux travaux ménagers (environ 24h par semaine soit 9h22 de plus que les hommes) et aux enfants (3h18 par semaine soit 1h21 de plus que les hommes).

La persistance des rôles masculins et féminins stéréotypés s’étend également aux autres domaines d’activités, puisque, toujours selon cette même enquête menée par l’INS, les femmes consacrent 1h de plus par semaine que les hommes aux soins personnels, et 41 minutes de plus au bénévolat et aux contacts sociaux (conversations, fêtes et coups de fil).

En résumé, l’étude conclut que les femmes ont une charge de travail totale plus élevée, effectuent plus de tâches ménagères et s’occupent davantage des enfants, consacrent plus de temps aux soins personnels et aux contacts sociaux. Les hommes, par contre consacrent plus de temps à leur activité profesionnelle, ont davantage de loisirs et passent plus de temps à se déplacer. Ce n’est qu’en matière d’enseignement et de formation qu’il n’y a pas de différence significative entre les hommes et les femmes.

Ces chiffres montrent qu’hommes et femmes se partagent toujours inéquitablement les trois tâches sociales que sont le renouvellement des générations, la production de bien-être et d’éducation dans la sphère familiale privée, la production de biens et services marchands et non-marchands à l’extérieur de la sphère familiale.

L’Europe et notre temps

La question de la conciliation des temps entre travail et familles est beaucoup plus fondamentale qu’il n’y paraît au premier abord car elle débouche sur celle du modèle de société dans laquelle nous voulons vivre.

Au-delà de la gestion courante des contraintes de l’économie, ainsi que le souligne Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères français [1] , nous avons besoin d’une Europe qui puisse “faire face à l’urgence écologique, …, et imposer à l’économie globale de marché des règles éthiques, sociales et environnementales”, bref, d’un projet de société qui permette aux citoyens de se projeter dans l’avenir, de maîtriser leurs choix de vie et d’appréhender positivement l’avenir de leurs enfants.

Or, les politiques européennes semblent trop peu se préoccuper de la précarisation des familles, et de la situation des femmes en particulier, sur lesquelles elles semblent vouloir faire porter de plus en plus de responsabilités professionnelles et démographiques, dans un contexte de volatilité croissante des unions.

Les politiques publiques actuelles portent au contraire essentiellement sur la stimulation, par tous les moyens, des mécanismes macroéconomiques favorisant la croissance économique et le maintien de la position concurrentielle de l’Europe par rapport au reste du monde.

Selon les objectifs fixés par la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE) adoptée au conseil européen de Lisbonne en mars 2000, le taux d’emploi doit atteindre 70% en 2010.Deux catégories sont particulièrement concernées, au sein de la population active, les femmes avec un taux de 60% à atteindre, et les seniors (55-65 ans), avec un taux de 50%.

Devant les résultats mitigés obtenus en matière de croissance, l’Union européenne s’attaque à présent au chantier démographique misant sur le lien hypothétique entre la jeunesse d’une population et le dynamisme de son économie.

C’est dans cette double perspective d’augmentation du taux d’emploi des femmes et de relance de la natalité en vue de la croissance économique et d’équilibre de la sécurité sociale que sont aujourd’hui envisagées les politiques publiques visant la conciliation travail/famille.

Et tout cela pour aller où ?

C’est la question que semblent se poser de plus en plus de citoyens européens. Les Trente Glorieuses ont été une parenthèse de l’histoire. S’acharner à vouloir reproduire les conditions de cette période, tant du point de vue du taux de croissance que de la pyramide des âges, et qui plus est de manière indéfinie, est voué à l’échec d’un point de vue écologique.

Il apparaît avant tout que les citoyens attendent que les pouvoirs publics leur garantissent la maîtrise de leurs choix professionnels et familiaux en fonction de leurs besoins, de ceux de leur famille, de leurs possibilités, opportunités, projets et aspirations.

La plate-forme sociale des ONG européennes, dont fait partie la Ligue des Familles aux côtés de plus de 40 organisations non gouvernementales, fédérations et réseaux européens, nuance la notion de flexicurité qui fait parties des lignes directrices intégrées de Lisbonne et qui est devenue le mot à la mode dans toutes les discussions sur les politiques de l’emploi. Pour les ONG, cette notion doit être accompagnée par des garanties sociales importantes en termes notamment d’assimilation des carrières flexibles pour le droit à la pension complète, de protection adéquate en terme de revenus de remplacement, d’investissement dans l’éducation tout au long de la vie, de renforcement de la législation du travail, de démocratie dans la négociation du système, de développement des infrastructures sociale, d’égalité des chances entre les hommes et les femmes ou de politiques d’activation réellement soutenantes pour les personnes qui cherchent un emploi.

Le développement durable passe en effet, pour les familles, par la restauration d’un cadre permettant aux citoyens, de bénéficier d’une sécurité et d’une stabilité suffisante pour réaliser des choix (voire les essais et erreurs qui y sont liés) correspondant à leurs aspirations en terme de projet de vie et à leur vision de la qualité de la vie qui ne passe pas forcément par la consommation à outrance.

Le budget temps des belges (heures/semaine – total = 168 heures)

Tous les belges de 12 à 95 ans

Emploi: 14h14 soit 8,5% du temps total

Tâches ménagères et familiales: 19h21 soit 11,5%

Soins et éducation des enfants: 2h38 soit 1,6%

Soins personnels: 16h31 soit 9,8%

Sommeil et repos: 63h15 soit 37,6%

Enseignement et formation: 5h05 soit 3,0%

Activités sociales: 9h37 soit 5,7%

Loisirs: 27h34 soit 16.4%

Déplacements: 9h45 soit 5,8%

Travailleurs à temps plein

Emploi: 33h27 soit 19,9%

Tâches ménagères et familiales: 15h34 soit 9,3%

Soins et éducation des enfants: 2h44 soit 1,6%

Soins personnels: 15h36 soit 9,3%

Sommeil et repos: 58h34 soit 34,9%
Enseignement et formation: 0h36 soit 0,4%

Activités sociales: 8h55 soit 5,3%

Loisirs: 21h00 soit 12,5%

Déplacements: 11h34 soit 6,9%

Travailleurs à temps partiel

Emploi: 22h40 soit 13,5%

Tâches ménagères et familiales: 23h20 soit 13,9%

Soins et éducation des enfants: 4h40 soit 2,8%

Soins personnels: 16h07 soit 9,6%

Sommeil et repos: 60h04 soit 35,8%

Enseignement et formation: 0h45 soit 0,4%

Activités sociales: 9h25 soit 5,6%

Loisirs: 19h48 soit 11,8%

Déplacements: 11h10 soit 6,6%


| NOTES:


[1] Sortir du labyrinthe européen, Pause dans l’élargissement, nouvelles politiques communes, traité simplifié : un plan en trois étapes, Le Monde, samedi 17 février 2007.