Associations 21, le CNCD-11.11.11 et Oxfam Solidarité ont invité Tim Bogaert (État Fédéral), et Natacha Zuinen & Pierre Goffart (département développement durable de la Région Wallonne) à présenter aux associations le processus de formation des Objectifs de Développement Durable dans le cadre onusien et les positions belges & européennes. Véronique Rigot du CNCD-11.11.11 a exposé ensuite le point de vue des mouvements sociaux sur ce processus et l’agenda post-2015.

Intervention de Tim Bogaert

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SDG et agenda post-2015 sont liés mais à ne pas confondre:

 À Rio+20, il fut décidé de formuler des Objectifs de Développement Durable (SDG pour Sustainable Development Goals) pour l’ensemble de la communauté internationale, d’ici 2015.

 2015 est aussi la date butoir des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Ils ne seront alors pas tous atteints, il faudra donc poursuivre le processus.

L’Open Working Group qui travaille à présent sur les SDG (OWGSDG) réunissait au départ 30 pays. Comme 189 pays étaient intéressés, chaque membre représente 3 pays. La Belgique n’est pas un membre formel. Certains pays membres de l’UE font partie de trios qui ne sont pas composés uniquement de pays UE, d’où la difficulté d’y faire entendre la voix de l’UE.

Le rapport attendu pour septembre 2014, va proposer des objectifs à l’assemblée générale des Nations Unies (UNGA). Ces objectifs vont devoir trouver leur place dans l’agenda post-2015 mais en 2010 il était déjà décidé de réfléchir à ce qui devait remplacer les OMD après 2015.

On a donc encore 2 trajectoires séparés et parallèles. En juin 2013, l’UE a plaidé pour un agenda intégré. Il faut dès lors un processus cohérent. En Belgique, on a l’habitude de se coordonner entre administrations et niveaux de pouvoir, mais il n’en va pas de même partout ailleurs. Différentes filières doivent apprendre à collaborer: coopération au développement, environnement… A présent, au niveau européen, il y a un groupe conjoint entre les différents départements. Le débat sur le contenu des SDG fait les frais de cette évolution formelle… Mais tout le monde accepte que l’élaboration du cadre post-2015 soit une priorité politique. Elle mobilise en tout cas largement, y compris au sein de la société civile.

En septembre 2013, un accord crucial a été obtenu, avec l’objectif d’un cadre unique pour le développement durable et l’éradication de la pauvreté. Certains pays renâclent encore…
En septembre 2014 débuteront les négociations formelles, sur base du rapport de synthèse du secrétaire général des NU qui prendra en compte divers processus, climatiques et autres.

À présent, la Belgique prépare un note de ce qu’elle veut voir dans le cadre post-2015 : veut-on des thèmes séparés ou intégrés ? Comment combiner les 2 approches ? Tout n’est pas encore tranché mais certains thèmes et secteurs s’imposent : biodiversité, protection sociale…

Natacha Zuinen

Contribution de la Région Wallonne à une position belge: depuis qu’un département Développement Durable a été constitué au Service Public de Wallonie, quelques personnes peuvent suivre les travaux internationaux et européens. La RW a décidé de mettre l’accent sur deux sujets jugés prioritaires:

 les changements de modes de consommation et de production (MCP – en collaboration avec le Bureau du Plan)

 la biodiversité et les services écosystémiques, en (collaboration avec la DG3). Il s’agit avant tout de construire des capacités sur certains sujets pour s’approprier les matières. Ensuite il faudra définir des cibles.

Avec l’éradication de la pauvreté et les ressources naturelles, les MCP sont un des thèmes qui ont émergé en 1992, sur lesquels la Belgique a toujours insisté. À Rio+20 fut adopté le cadre de programmes à 10 ans pour des MCP durables: on n’est pas encore très loin dans sa mise en oeuvre.

Quelles pourraient être les cibles – sectorielles et non-sectorielles – d’un SDG MCP ? Les chaînes d’approvisionnement constituent un point important pour parler (de manière détournée) du commerce. D’où l’importance de faire passer ce sujet au niveau européen.

Pierre Goffart: pourquoi un SDG biodiversité?

On peut l’aborder de 2 façons:

  1. Services rendus par les écosystèmes: récréatifs, esthétiques, culturels, scientifiques, et la régulation via les écosystèmes: prévention des dégradations, effet tampon…
  2. Dégradations et leurs conséquences.

La biodiversité intègre les différentes dimensions du DD: développement économique et justice sociale en dépendent, la dégradation de la biodiversité impacte plus les pauvres que les riches.
Il faut aussi accomplir ce qu’on n’a pas pu faire dans ce domaine avec les MDG (« end finish business »). Il y a aussi une continuité dans les engagements des États régulièrement renouvelés depuis 1992. Pour ce thème, la RW plaide pour un stand alone (SDG spécifique). L’intégration transversale serait une position de repli, il faudra alors pointer la biodiversité dans les différents SDG. Cibles: cf objectifs d’Aïchi.

Questions du public

  1. La question du financement semble traitée en parallèle. A-t-on d’abord besoin de savoir quels sont les moyens disponibles, ou quelles actions on prévoit? C’est l’oeuf ou la poule… En septembre, tout devrait se rejoindre.
  2. Chantiers prioritaires: on tient aussi compte de ce qui est mis en avant par d’autres instances. Ainsi, la protection sociale est un domaine important pour notre ministre de la coopération au développement. Vu que le BIT se mobilise, faut-il mettre toute notre attention là-dessus ou suivre ce qu’ils font ? Quels sont les domaines / objectifs orphelins ?
  3. Quid de l’ISO 26000 dans les SDG  ? C’est l’approche du secteur privé, à impliquer également. Ce n’est pas encore une norme certifiable.

Véronique Rigot

Précision linguistique: la « société civile » est un concept très/trop large. De plus en plus on parle de mouvements sociaux pour distinguer ceux qui défendent l’intérêt général des acteurs privés et des entreprises, qui ont tendance à défendre des intérêts liés à leurs activités.

Au niveau international, Beyond 2015 regroupe plus de 100 organisations dans plus de 100 pays. Concord est le relais européen de ce réseau et a publié un rapport en mai 2013 : « Putting people & planet first » qui présente une liste de SDG. Diverses plate-formes thématiques ont déjà défini leurs positions thématiques.

En Belgique, le CNCD-11.11.11 propose de co-coordonner une coalition relais avec Elf elf elf et a reçu diverses marques d’intérêt. Cf note de cadrage publiée il y a près d’un an et les revendications formulées pour Rio+20 où l’on s’opposait radicalement au dogme de l’économie verte. L’économie doit servir le social. Il faut des MCP durables mais aussi redistribuer les richesses dans les limites de la planète.

Positionnement actuel des mouvements sociaux :

 le cadre post-2015 doit être inclusif

 il faut des modes de gouvernance justes

 Le but n’est pas la croissance ou le développement mais le bien-être

 Financer le changement : il faut aussi changer la finance!

Sur les 19 éléments clés présentés dans le rapport de l’OWGSDG, 3 constats font réagir les mouvements sociaux :

 l’ensemble reste intrinsèquement orienté pro-croissance. Or c’est l’occasion de changer la manière de concevoir les objectifs de notre société

 Quid de l’universalité : comment les ODD seront-ils applicables partout, vu les différences de développement ?

 problèmes d’inégalité et de droits humains

Débat

Jean-Paul Ledent : attention à l’indicateur relatif aux surfaces d’aires protégées. Beaucoup d’aires protégées, surtout dans le sud, ne le sont que sur papier ou les populations locales ne peuvent les utiliser. Tout comme l’accaparement des terres, cela pose problème sur le terrain. Plutôt que d’augmenter les superficies il vaut mieux privilégier le qualitatif : qu’en fait-on, etc.

Michel Theymans : ce n’est pas parce que quelque chose est complexe qu’il ne faut pas l’aborder. Reste à voir avec quelle méthodologie. Ainsi, la dimension transversale est importante. L’intégration d’un thème dans les autres ne doit être une position de repli mais une priorité.

Luc Lefèbvre : il y a du flou quant à la participation, rien ne garantit que les plus pauvres puissent s’exprimer sur ces sujets. Il y a eu une amorce avec le rapport général sur la pauvreté à partir de 92-94. Ce processus est mis à mal actuellement. Peu de moyens sont consacrés à une réelle participation de ces populations. Or c’est primordial de confronter leurs pensées à ces débats. Ex. l’isolation des logements : ce n’est pas par des voies technocratiques qu’on trouvera les solutions.

Il faut aussi faire le lien entre les modes de production sur le terrain et nos débats : ex. risque de glissement de production du bio vu la tendance à la concentration de la propriété de la terre par des consortiums notamment d’Europe de l’Ouest vers l’Europe de l’est. Il y a là accaparement des terres et exploitation de main d’oeuvre.

Sécurité sociale: soi-disant c’est une priorité de la Belgique, en même temps il y a de plus en plus d’emplois totalement dérégulés, et des formes de travail forcé via les activations (arme alimentaire). Donc comment garantit-on la sécurité d’existence en réalité ?

Véronique Rigot : le principe de participation n’est plus en débat car à Rio en 1992 il a été acté et donc en principe il doit être appliqué. Mais sans contraintes ni contrôle… Certains y veillent, ainsi le Ministre Mabille organise régulièrement des consultations, et il existe une multitude d’occasions de participer dès lors qu’on a internet. La fracture numérique est un problème. Et on n’a pas le temps de réagir comme il le faudrait. On relaie comme on peut mais on se sent dépassés. Et on se demande ce qui est fait concrètement de l’ensemble des inputs ! Quant à l’implication des parties prenantes, certains pays sont tout à fait contre. Ils veulent que ça reste un processus gouvernemental.

Natacha Zuinen : dans les réunions de l’OWGSDG, il y a chaque fois un segment « société civile » qui relaie en partie les populations les plus pauvres. Le Développement Durable est plus ouvert à la société civile que d”autres domaines. Ex. CFDD : c’est peut-être le moment d’y proposer un nouvel avis.

Tim Bogaert : il ne faut pas non plus mettre toutes nos préoccupations et nos énergies dans ce cadre. En tout cas, il faut veiller à ce que la dimension économique du DD ne soit pas la priorité au-dessus des autres. Quant à la limitation du nombre d’objectifs, dans nos exercices belges, on en a 14 et au fil du temps on va encore y mettre de l’ordre. Dès lors la transversalité gagne en importance. C’est ce qui fera la différence avec l’approche en silos qui a prévalu jusqu’à présent. Ensuite il faudra discuter des actions concrètes pour mettre en oeuvre ces objectifs. Ce cadre ne sera pas contraignant mais là, les mouvements sociaux belges pourront sans doute plus facilement intervenir.

Jean-Paul Ledent : le cadre international sera lissé s’il doit plaire à tout le monde.
Ainsi, le fait qu’une partie de l’humanité doit réduire son niveau de vie, restera sans doute tabou.

Andrée Defaux : était à NY en juin 2013 pour l’évaluation des OMD. Ce qui était surtout intéressant c’était l’échange avec les groupes des différents pays. Mais oui, on a témoigné à l’ONU. Des mécanismes imposent la pauvreté. S’il y a des riches il y a des pauvres. On a dénoncé ces mécanismes en revendiquant une sécurité d’existence pour tous les habitants de la terre. L’éradication de la pauvreté, c’était prévu pour 2015, maintenant c’est pour 2030 !

Conclusions

Natacha Zuinen : l’administration essaye d’être à l’écoute dans différentes enceintes mais on est peu en Belgique et on n’est pas à la manoeuvre des politiques mainstream. Cependant, oui, on peut être ambitieux dans le changement…

Tim Bogaert : tout ce travail international sert notamment à faire remonter le DD dans l’agenda politique et les priorités des gouvernements.

Véronique Rigot  : à présent les ONG sont fort prises avec la campagne électorale, mais ces thèmes vont monter en puissance, et on les suit !