Début 2016, la plateforme Wal-ES, relative aux services éco-systémiques, a soumis à consultation l’approche de ce concept par la Wallonie et un guide pour évaluer ces services. L’expertise de Jean-Paul Ledant, de l’Institut pour un Développement Durable, nous a été précieuse pour comprendre de quoi il s’agissait. Nous l’avons invité à présenter l’enjeu dans cet article.


L’usage du terme « services écosystémiques » (SE) s’est popularisé suite à une vaste étude publiée sous l’égide des Nations unies en 2005 : l’évaluation des écosystèmes du millénaire (Millenium Ecosystem Assessment » ou MEA). Pour faire simple, les SE sont les bénéfices que l’humanité tire ou obtient de la nature vivante. Plus précisément, il s’agit des bienfaits issus des « écosystèmes », à savoir les ensembles, souvent très complexes, constitués d’êtres vivants et non-vivants en interaction.

Comme exemple de SE figurent la production d’aliments par l’agriculture ou la pêche, la régulation des cours d’eau par les forêts ou encore la satisfaction des visiteurs d’un site naturel. Bien que le concept soit récent, les hommes ont bien sûr de tout temps et partout dépendu de « services écosystémiques », ne serait-ce que pour la nourriture.

Le concept de SE aide à démontrer la valeur de la nature, les conséquences de sa dégradation et le besoin de mécanismes de gouvernance assurant sa gestion durable. C’est ainsi que le MEA a mis en évidence le déclin de la plupart des SE, sauf la production agricole. Cette situation découle des pressions sur les milieux naturels couplées à l’absence d’incitation à les maintenir en état de fournir leurs SE, alors que d’habitude l’agriculteur est incité à travailler son champ en vue de produire des denrées commercialisables.

Ce constat d’une dégradation des SE non régulés par le marché conduit parfois à préconiser de les soumettre à celui-ci par l’instauration des mécanismes tels que les Paiements pour Services Environnementaux (versés aux personnes dotées de droits sur la nature ou exerçant une influence sur elle).

Cette approche qui ouvre la voie à une appropriation des SE est cependant contestable et contestée, en raison notamment du risque de priver les populations rurales pauvres de l’accès aux SE qui leur était initialement libre et gratuit. Ainsi, les SE ouvrent de nouveaux champs de débat politique..

L’approche par SE est largement portée par les défenseurs de la nature ou de la biodiversité, qui y trouvent un argument économique à l’appui de leur cause. L’influence de ce positionnement « naturaliste » se retrouve dans la mise à l’écart des « services négatifs » (par exemple certaines maladies vectorielles ou les dommages causés aux cultures par la faune sauvage). Elle se marque également dans un centrage de la réflexion sur les écosystèmes, plutôt que sur les hommes qui les influencent ou qui bénéficient de leurs services.

Le concept n’est donc pas forcément très parlant pour les agriculteurs ou les personnes qui vivent en interaction étroite avec les écosystèmes sans les idéaliser ou pour celles ne partageant pas notre représentation culturelle de la séparation entre société humaine et systèmes naturels.

A la suite du MEA, le concept a été favorablement accueilli dans la communauté scientifique concernée par la conservation et par les institutions gouvernementales ou internationales. Au niveau international, une Plateforme intergouvernementale de la biodiversité et des services écosystémiques (IPBES) a été créée en 2012 avec l’ambition de devenir une structure analogue à celle du GIEC. Au niveau européen, il existe un Groupe de travail européen sur la cartographie et l’évaluation des services écosystémiques (MAES).

Au niveau belge fédéral, la Belgian Biodiversity Platform a notamment mené le programme BEES (« Les services belges d’écosystèmes : une vision pour les interactions société-nature ») en vue d’établir une stratégie générale pour l’évaluation des SE.

En Wallonie la nouvelle Plateforme wallonne relative aux services écosystémiques Wal-ES, qui réunit universités et Gouvernement, a notamment produit un guide d’évaluation des SE comme aide à la décision. Si l’évaluation a de quoi occuper les chercheurs, le document reconnait notamment l’importance d’impliquer toutes les parties prenantes dans l’évaluation, donc le citoyen et la société civile.

Cela dit, il sera difficile d’identifier qui est le plus concerné par quel SE, vu la mobilité des personnes et des denrées issues de SE, ainsi que la valeur croissante de SE de portée globale comme la séquestration de carbone. De plus le focus reste sur l’évaluation (en tant que préoccupation des chercheurs), tandis que l’application dans la prise de décision et la gestion concrète de l’environnement reste une perspective plus lointaine.

Jean-Paul Ledant
Institut pour un Développement Durable

Remarque d’Association 21:

Certains acteurs sociaux voient dans l’approche des services écosystémiques une conception utilitariste des écosystèmes considérés sous l’angle de la fourniture de services. Ils craignent que le pas soit vite franchi de monnayer ces services (quand ils ne le sont pas encore), dans un contexte où l’économie de marché domine. Et ils présentent comme alternative à cette approche le concept de communs (c’était notamment le sujet d’un des ateliers du Forum de la Transition Solidaire, le 1er avril 2015). D’autres vont encore plus loin en revendiquant les droits de la nature. Il en sera question lors du Colloque Interdépendance 2016 organisé par Planète Vie du 13 au 15 mai 2016.