L’embargo russe a des conséquences jusque dans nos vergers: récemment, le SPF Santé Publique a autorisé les producteurs de fruits à pulvériser une partie de leur production de poires avec un produit chimique, l’éthéphon, afin de détruire le surplus. L’affaire concerne surtout la Flandre mais aussi la Wallonie puisque l’autorisation est fédérale. En réaction, voici la lettre ouverte de la vzw De Wervel que nous avons traduite.


Lettre ouverte de Wervel en réponse à l’article “Fruitboeren mogen chemicaliën gebruiken om fruit van bomen te halen(Les producteurs de fruits peuvent utiliser des produits chimiques pour faire tomber les fruits des arbres) – Paru dans Knack Magazine le 27/08/14.

“Que le SPF Santé Publique autorise la Flandre à détruire chimiquement son surplus de poires est carrément choquant. La guerre économique dans laquelle s’est lancée l’UE avec la Russie se transforme en guerre chimique contre les poires en Flandre. Est-ce qu’un docteur fou se manifestera bientôt pour proposer des stratégies d’élimination similaires afin de se débarrasser du surplus de cochons ?

L’accord de coalition flamand, dont l’encre n’est pas encore sèche, annonce cependant concernant le gaspillage alimentaire que “Dans un monde où une personne sur huit souffre de faim chronique, la perte ou le gaspillage de nourriture et de matière première, autant au niveau de la production que de la chaîne de consommation, sont éthiquement inacceptables” et qu’“en collaboration avec le secteur alimentaire et les consommateurs, des plans d’actions seront développés pour empêcher préventivement et autant que possible des pertes de nourriture”.

Que De Standaard rapporte cette nouvelle sans la moindre indignation fait mal. Les poires sont pulvérisées avec des pesticides? Ainsi soit-il. En 2014, on s’indigne encore de la destruction de 2.000 hectares de poires? Cela doit représenter au moins 60.000 tonnes, ou dix kilos de poires par Flamand.

Plus grave encore, ce message nous parvient sans analyse sur la manière dont on en est arrivés là. Ni les médias ni les organisations agricoles ne peuvent ou ne veulent le faire. Personne ne va au-delà de jeter la responsabilité sur la Russie ou d’attirer la sympathie sur les agriculteurs concernés. Pourtant, la responsabilité de l’actuelle crise agricole n’est pas à imputer à Poutine, mais bien à l’agro-industrie et à nos propres autorités qui ont prôné un laisser-faire. Des producteurs de poires aux éleveurs de porcs, tous se retrouvent piégés dans le carcan des fournisseurs, des clients et des banques. Les agriculteurs devaient se spécialiser à plus grande échelle dans la production d’un seul produit (les poires Conférences ou les porcs Piétrain) à destination de l’export. Le choix qui leur était proposé était simple: prendre part à cette spécialisation ou arrêter. La crise des poires montre bien la vulnérabilité de ce système: les poires sont cuites pour la plupart des agriculteurs qui ont perdu leur autonomie dans ce système. Comment les politiciens peuvent-ils être fiers des milliards de produits alimentaires que la Flandre exporte alors que la valeur ajoutée dans le secteur agricole baisse depuis des années, avec la fermeture de centaines d’exploitations agricoles par an à la clé ?

Et pourtant, n’avons-nous pas besoin de davantage d’agriculteurs? Ce peut être le cas dans un modèle agricole qui dirige sa production vers les besoins locaux, sans rejeter ses coûts sur la société. Une agriculture LEF exprime un ancrage Local, en harmonie avec l’Environnement et avec une rémunération équitable pour l’agriculteur (en néerlandais, LEF pour Lokaal, Ecologisch et Fair, LEF signifie aussi « courage »). Les agriculteurs qui dirigent leur exploitation selon ces principes n’ont pas peur de Poutine et peuvent résister à bien d’autres crises du secteur agricole: scandales alimentaires, concentration du pouvoir par les supermarchés et les multinationales alimentaires ou encore prix planchers liés à la surproduction. Que ce soit les poires, les porcs, les oeufs, les pommes de terre, le lait ou les légumes: les agriculteurs qui s’engagent avec courage nous prouvent leur résilience et leur capacité à se maintenir.

Les lobbys et les gouvernements font peu pour rendre accessible au grand public des produits locaux, écologiques et équitables. Ainsi ces produits sont restreints à un phénomène de niche. Auraient-ils un certain intérêt au statu quo? Cette crise est l’occasion de remettre en question notre système agricole. C’est pourquoi nous devons procéder à une vraie analyse critique des médias. Profitons de cette crise des poires pour promouvoir une agriculture courageuse.”

Benny Van de Velde
Agriculteur bio et collaborateur chez Wervel vzw

Lien vers l’article du Knack
Lien vers la Lettre ouverte originale en néerlandais