“À Rio, les chefs d’État devront faire preuve de courage, en prenant des mesures de régulation significatives, et surtout contraignantes. Sinon, les pires pollueurs et les pires exploiteurs poursuivront leur travail de sape de notre maison commune. Il est urgent de les circonscrire. Le Sommet des Peuples ne manquera pas de le rappeler : attention, les 99% seront là !


Qu’allez-vous défendre à Rio, toi et les autres représentants des associations belges ?

Une attention pour la dimension sociale du développement durable dans les débats sur l’économie verte. Nous entendons par là un verdissement de toute l’économie plutôt qu’un coup de peinture verte sur le capitalisme. Il faut donc un changement de paradigme vers un monde durable, comme le souligne le plaidoyer de la Coalition Belge Rio+20, qui réunit les syndicats et les ONG francophones et néerlandophones en Belgique. Cela implique de modifier en profondeur nos modes de production et de consommation pour ne pas dépasser les limites de la biocapacité terrestre, tout en répartissant mieux des richesses, pour que ce ne soient pas « todis les p’tits qu’on spoche » !

Déjà, les politiques d’austérité creusent encore plus le fossé entre pauvres et riches. Il faut donc plus d’équité dans cette transition écologique, sociale et économique. Cfr les positions que nous avons publiées dans le cadre international et dans le cadre de la Région Wallonne.

De quoi d’autre sera-t-il question à Rio ?

Les Etats y discuteront également d’objectifs de développement durable (SDG pour « Sustainable Development Goals »), de réforme institutionnelle… Et de « Big picture » ! Il semble que Ban Ki Moon soit très inquiet que les négociations n’avancent pas sur ce point. A mon avis, la « big picture », c’est plutôt à la Cupula Dos Povos, le Sommet des Peuples, qu’il la trouvera. Qu’il vienne donc y faire un tour! Nous y contribuerons à la construction d’une vision commune de la société civile pour un avenir durable, dans la foulée de notre contribution à la Vision à Long Terme de la société civile au niveau de la Belgique Fédérale…

Quels sujets suivras-tu plus particulièrement ?

 La question de la participation : quel rôle peuvent et veulent jouer les ONG et les autres représentants des « groupes majeurs », tels que définis dans l’Agenda 21 de 1992 : associations, syndicats, entreprises, académiques, collectivités locales, agriculteurs, femmes, jeunes, peuples indigènes ? Il vaut mieux une participation régulée et transparente que du lobbying de couloir où le monde du business déploie des moyens gigantesques eu égard aux autres groupes (cfr par exemple le récent film « The Brussels Business »). C’est un des grands acquis de Rio92. Mais comme vous le savez, rien n’est jamais définitivement acquis, les droits les plus fondamentaux sont toujours à défendre et à reconquérir.

 Il y a aussi des idées qui s’immiscent subrepticement à travers les grands thèmes cités ci-dessus, qui requièrent plus particulièrement notre vigilance, comme celui de la « financiarisation des services éco-systémiques » ou, pour être plus clair, tout ce qui relève de la marchandisation de la nature et des ressources qui devraient rester des « communs », non seulement accessibles mais également gérées par toutes et tous. Sur ce point, on dispose d’études et d’analyses fouillées d’ONG telles que les Amis de la Terre.

 A côté de ces dérives, il y a aussi des bonnes idées qui circulent mais qui ne sont pas encore assez largement discutées, telle celle d’un « écosystème financier international ». Il serait temps, en effet ! Sur ce type de sujet, on se référera aux propositions déjà largement débattues et soutenues de la plate-forme « Roosevelt2012 », d’ATTAC, etc.

 Associations 21 soutient aussi l’initiative du projet FAIR (Forum pour des indicateurs alternatifs de richesse), d’organiser trois débats à Rio : deux dans le cadre du Sommet des peuples, le troisième dans le cadre des « side events » du sommet officiel. A priori, le problème de la suprématie du PIB et de ce qui devrait le remplacer ou le compléter est un « vieux » débat : pas pour tout le monde ! En l’occurrence, il s’agit à présent d’affûter les outils qui permettront de mesurer les progrès faits dans la poursuite des SDG. Le fait d’en parler maintenant dans un sommet mondial montre que l’idée fait son chemin. Soyons opiniâtres !

En effet, les changement de société ne se font pas en un jour…

Cela me rappelle cette évaluation qu’avait faite l’Association des Téléspectateurs Actifs lors de sa dissolution il y a une dizaine d’années : en moyenne, il faut 8 ans pour faire aboutir une revendication. Selon la nature de celle-ci, cette durée peut paraître très longue ou très courte, et comme dit plus haut, il faut de toute façon « 100 fois sur le métier remettre son ouvrage ».

C’est pourquoi, je réagis toujours lorsque j’entends « qu’il ne s’est rien passé depuis le sommet de Rio en 1992 ». Comment cela ? Et toutes les personnes qui se décarcassent au quotidien depuis 20 ans ou plus ? Dans la construction d’alternatives paysannes ou énergétiques, dans le tissage des solidarités, dans la résistance à la misère aux côtés des plus pauvres, dans les circuits courts, les dynamiques locales ou d’éducation au développement durable… Les engagements mondiaux de 1992 ont à tout le moins stimulé ou soutenu de telles impulsions.

Il est vrai que le système dominant les maintient dans une « niche ». Il faut à présent briser ce « plafond de verre » afin de leur permettre d’essaimer. Il y a, on le sait, un obstacle de taille à pareil basculement : des intérêts économiques colossaux sont en jeu. C’est pourquoi, à Rio, les chefs d’État devront faire preuve de courage, en prenant des mesures de régulation significatives, et surtout contraignantes. Sinon, les pires pollueurs et les pires exploiteurs poursuivront leur travail de sape de notre maison commune. Il est urgent de les circonscrire. Le Sommet des Peuples ne manquera pas de le rappeler : attention, les 99% seront là !

N’y a-t-il pas aussi un enjeu culturel à la transition vers une société durable ?

Evidemment, et pour ma part, je trouve qu’on ne met pas assez le secteur culturel dans le coup. D’où la difficulté de penser collectivement ces sujets qui pourtant nous concernent tous, de façon très concrète, au quotidien. Les artistes ne vont pas sauver le monde. Mais intéressons-nous de temps en temps aux pierres qu’elles et ils ajoutent à l’édifice de cette « big picture », souhaitée par Ban Ki Moon ; aux sentiments ou aux blocages qu’ils et elles nous permettent de sublimer. Un exemple : le 5 juin, au spectacle qui faisait l’ouverture du festival Burning Ice au Kaai Theater, « Cry me a river », j’ai vu Anna Mendelssohn nous ouvrir les bras en parlant de notre peur quant à l’avenir de l’humanité : « n’ayons pas honte de cette peur, ne la cachons pas. Cette peur, c’est aussi de l’amour ! »… Disait-elle cela au premier, au second ou au troisième degré ? Aucune importance. Dès lors que l’on considère la peur comme une preuve d’amour, alors on peut lâcher prise et exprimer cet amour d’une façon plus mûre, émancipatrice. Merci Anna !