PV détaillé de l’échange croisé.


Résumé des enjeux

Décryptage de la stratégie EU 2020 par Diana Van Oudenhoven:

Il n’y a pas eu d’analyse des causes des différentes crises -> la réponse donnée par cette stratégie européenne est de remettre en avant les mêmes outils qui ont amené à la crise.

Dans la stratégie de Lisbonne, les objectifs économiques, sociaux et environnementaux étaient distincts. Il y a eu une évaluation peu médiatisée de cette stratégie et faite dans un « staff document » de la Commission européenne: elle n’aurait pas atteint ses objectifs, notamment en raison de la multiplication des indicateurs -> on veut y pallier au moyen d’une stratégie plus intégrée.

En réalité, le seul élément d’intégration est la croissance (durable, inclusive et intelligente…). La croissance peut être un moyen pour augmenter le bien-être, mais ne peut jamais constituer un objectif à atteindre en tant que tel.

Le qualificatif « durable » vise ici surtout l’environnement et en particulier le paquet énergie/climat (d’autres questions sont quasiment absentes comme celle de la biodiversité) et ce n’est en outre pas réellement une approche DD.

Le volet social se limite à la question de la pauvreté et de l’« inclusion » sur le marché de l’emploi. Il s’agit de mettre tout le monde au travail, le plus tard possible et quelles que soient les conditions de travail -> Le volet social/emploi de Lisbonne n’était pas exempt de critiques mais il contenait un agenda social, et également un aspect qualitatif important en ce qui concerne l’emploi : la question du revenu minimum européen, des services sociaux de qualité, la conciliation vie privée vie professionnelle, la pauvreté,…Le terme « d’inclusion sociale » est donc réducteur si on doit le considérer comme la version actuelle de ce qu’était la dimension sociale dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.

Il existe à présent un objectif chiffré en matière de pauvreté: sur le principe c’est une bonne chose, mais cet objectif n’est pas assez ambitieux. De plus si on le considère parallèlement au fait qu’on limite la marge de manoeuvre des politiques en matière sociale (et de dépenses publiques), ce n’est pas cohérent ou peut contribuer à vider de leur substance des objectifs fixés en matière sociale.

Cette stratégie est présentée de manière dynamique et intégrée mais tout est basé sur la seule croissance. On mélange les politiques, en les considérant comme égales. Or tout ce qui est géré au niveau européen ne s’équivaut pas, n’a pas le même poids en fonction des compétences relevant exclusivement ou de manière partagée entre l’Union et ses Etats membres. Certains domaines sont plus intégrés que d’autres.

Du point de vue de l’opérationnalisation, miser sur l’échange de bonnes pratiques dans le cadre de la méthode ouverte de coordination (MOC) est une bonne méthode puisqu’elle relève de la volonté de ce que les Etats voudront mettre ensemble autour de la table. On pourrait dire de même pour les initiatives, mais ici on mélange ce qui est aurelève du niveau européen et du niveau national. Cela peut prêter à confusion.

Notons que les PNR (Plans nationaux de réforme) créés pour Lisbonne vont continuer: chaque Etat membre doit faire son PNR et là, en principe, les partenaires sociaux sont associés (du moins en Belgique).

Evaluation : au niveau européen, sous Lisbonne, c’était la technique de l’examen par les pairs dans le cadre de la méthode ouverte de coordination. Ce processus d’apprentissage mutuel, , est un aspect important à reproduire dans cette nouvelle stratégie.

In fine, il faut toujours voir ce qu’il y a derrière les processus de réforme : est-ce qu’on touche au core business de l’UE, est-ce que ça touche des compétences nationales ? Une fois qu’on a dérégulé, on ne revient pas en arrière. EU 2020 pousse les Etats à déréguler au niveau national en visant des réformes sous le couverts du dynamisme. Elle vise des stratégies de sortie de crise tout en se focalisant de manière quasiment exclusive sur les bons scores économiques. Elle mélange plusieurs politiques en créant l’illusion de leur équivalence, et elle doit s’appliquer parallèlement au pacte de stabilité et de croissance pour lequel les états sont obligés de fournir des résultats relevant de l’Union économique et monétaire, particulièrement en matière de déficits publics. Elle identifie en outre comme remède principal à la crise l’approfondissement du marché intérieur et la réduction des dépenses publiques.

Par rapport à la question de l’approfondissement du marché intérieur, il faut des garde-fous. Par exemple, en Belgique une grande partie de l’économie relève du secteur non marchand et de l’économie sociale), approfondir le marché intérieur sans l’assortir de manière claire de la garantie de la compétence pleine et entière des Etats pour ce qui est de l’organisation et du financement des services d’intérêt général risque de mettre à mal ces secteurs et en particulier les travailleurs et les destinataires de ces services (ainsi que leur caractère abordable et leur qualité). En tout cas, cette stratégie n’exploite pas et n’aborde même pas du tout des aspects cruciaux du Traité de Lisbonne que sont les clauses sociales qui sont inscrites dans ce traité, ce qui est pour le moins troublant.

Au niveau national il faut voir si on est vraiment tenus d’appliquer:

  • Une approche aussi restrictive de la « croissance durable »: d’autant qu’aucun lien n’est fait avec la stratégie européenne de développement durable.
  • l’agenda de dérégulation : réduction des dépenses publiques, diminution des possibilités de régulation par les états, approfondissement du marché intérieur => droit de la concurrence, interdiction de toute discrimination… Primat des règles économiques sur les règles sociales et environnementales (en somme sur les droits humains).

Au niveau européen, on ne peut plus faire échec eà la Stratégie EU 2020 en tant que telle, mais nous disposons toujours d’une capacité d’action via les institutions européennes elles-mêmes : le Parlement européen, le Comité économique et social européen ; ou via le levier d’associations qui nous fédèrent, telles que la Confédération Européenne des Syndicats (CES), la plate-forme Concord, et surtout la Spring alliance : cette Alliance a écrit un manifeste dont voici le résumé, qui critique la stratégie EU 2020 et propose des alternatives.  Font partie de la Spring Alliance: la CES, le bureau européen de l’environnement, Concord, bref des plates-formes nationales d’ONG et de syndicats : sur base de leur manifeste, ils ont écrit une lettre à Barroso pour lui transmettre leur critique de la stratégie EU2020.
Cfr Philippe Pochet, institut d’étude de la CES, ETUI Policy Brief, politique sociale européenne n°2/2010, “Pourquoi la stratégie EU 2020 n’est-elle pas appropriée?”

Echéance pour les Etats qui vont devoir présenter en même temps leurs PNR et leurs résultats quant au pacte de stabilité et de croissance : déc 2010 => Si Associations 21 veut mobiliser la société civile sur cet enjeu, il faut mobiliser les troupes à la rentrée.

Antoinette Brouyaux  : rappelle la question que pose la transition -> vers quoi ?

François Sana : les défis sont tels à relever qu’essayer de jouer sur les faibles marges de manoeuvre qu’on a, ne suffira pas.

Anne De Vlaminck : ça dépend pour quel objectif.

Diana Van Oudenhoven : le sustainable new deal (SND) est à remettre en avant. On a des objectifs contraignants, on doit procéder à une transition juste. Le SND remet en évidence le contexte de crise alors que maintenant on a tend à dire « tout va bien, il faut réduire les dépenses publiques ». Non, ça va aller en empirant. On ne peut pas laisser le champ libre à la bonne volonté des entreprises pour s’adapter. Les pouvoirs publics doivent reprendre les rennes, dans ce sens l’image du SND est bonne. As21 pourrait revendiquer des pouvoirs publics forts ». Cfr avis sur la présidence belge de l’UE : il était alors consensuel et il y avait de bonnes choses là-dedans (NDLR: sur cette question, cfr compte-rendu de la conférence de Jean-Louis Laville à Charleroi le 8/9/2010, sur une « nouvelle alliance entre le secteur associatif/l’économie sociale, et les pouvoirs publics »).

En conclusion, comment agir au niveau belge:

François Sana: ce dont on a besoin, c’est d’un nouveau pacte social, qui inclurait les syndicats. Il en est question à IEW, qui constate une convergence objective entre syndicats et associations.

Antoinette Brouyaux : ce projet de  pacte social fait partie intégrante du programme 2010-2014 d’Associations 21.

Anne De Vlaminck:

  • EU2020 et PNR sont une base de départ pour aller ensemble, syndicats et associations21, vers un nouveau pacte social. Pour ce faire, il faut qu’on ait une idée plus précise de quelle société on veut. Déjà sur l’EU2020, la CES n’a pas directement réagi. Il est vrai qu’elle l’a fait via la Spring Alliance : ce n’est pas un texte radical, c’est déjà un compromis entre organisations de différentes sensibilités. IEW étant membre du BEI, ils adhèrent donc de facto à ce manifeste -> à collectiviser au sein d’As21.
  • Attention à la « flexisécurité ».

Diana Van Oudenhoven:
Idem pour la question des partenariats public-privé qui semblent devenir la réponse pour analyser et résoudre les problèmes en matière d’organisation et de financement de certains services d’intérêt général. Ce pourrait être le cas pour l’enseignement: c’est bien de dire qu’il faut un enseignement de qualité mais concrètement, il faut mettre en avant les budgets publics nécessaires pour cela.

Anne De Vlaminck :

  • Les anciens plans nationaux de réforme, c’était déjà un amalgame des plans régionaux + un petit bout de fédéral. Pour ce PNR, nous pouvons demander à être consultés, notamment dans le cadre du CFDD. Le CFDD lui-même peut être proactif et demander à être consulté, suffisamment tôt pour que ça vaille la peine.
  • Communiquer : oui, mais attention : il ne faut pas brandir des points de vue radicaux dans la presse pour aller ensuite accepter un texte consensuel… Il faut être déontologique. Et donc, attendre la conclusion du débat au sein du CFDD… Sans attendre trop tard non plus : cfr l’échéance des mémorandums à l’attention du nouveau gouvernement belge qui devra élaborer / finaliser ce PNR.

Antoinette Brouyaux : pour discuter de quelle société on veut, on peut s’appuyer sur diverses méthodologies telles que par ex. le développement de scénarios. Cette méthode prospective et participative est utilisée depuis près d’un demi-siècle par des états ou des entreprises à des fins stratégiques. Elle a été popularisée en Afrique du Sud après la chute de l’apartheid : après qu’un panel de citoyens issus des différentes communautés ait formulé 4 scénarios possibles pour le futur du pays, ces scénarios, portant des  noms d’oiseaux, ont été largement médiatisés, permettant un véritable débat public et surtout l’adoption d’un imaginaire commun (scénarios dits de Mont-Fleur, rédigés à Cape Town en 1991-92). Détail piquant : le scénario sud-africain remportant l’adhésion des communautés s’appelait « The flight of flamingos » ! 20 ans plus tard, nous sommes dans l’ère virtuelle et on peut appliquer cette méthode d’autres façons, ou en trouver une autre…

Anne De Vlaminck :

  • Avec des acteurs qui ont déjà un certain degré de convergence, ce peut être intéressant, effectivement, de développer ensemble des scénarios, surtout si on le fait dans le contexte du débat sur la stratégie EU 2020. Cette méthode peut être dynamique et mobilisatrice si elle permet de mutualiser le bagage de chacun dans la vision d’avenir (c’est en tout cas son but).
  • On peut se baser sur des textes existants : pacte social de l’après-guerre, Spring Alliance + chacun amène son bagage… Et associer le « Collectif pour les biens communs » (eau, santé, etc.) qui a travaillé sur le rôle des états sur ces questions de biens communs, Econosphères, Christian Arnsperger… Dans son « manifeste », celui-ci  parlait des externalités sociales et écologiques: on constate une tendance à internaliser les externalités écologiques mais pas les externalités sociales car si on le faisait, on ferait sauter le capitalisme. Ex. de la pénibilité sociale.
  • En tout cas, eu égard aux défis auxquels on est confrontés actuellement, il est difficile de mobiliser les intellectuels, le mouvement pour la décroissance reste marginal… Partons donc de l’échéance concrète du plan national de réforme que la Belgique doit produire, en suggérant aux associations d’intégrer dans leurs mémorandums des revendications communes.
  • De plus, Associations 21 est bien placée pour demander que le CFDD soit consulté.
  • Objectif identique du projet des « Forums du futur » d’IEW :  rassembler les syndicats, les associations et les experts sur différentes matières (énergie, transport, alimentation, logement) -> groupes de travail sur ce qu’il faut faire pour aller de là où on est à la société qu’on veut, avec des mesures concrètes. Changer de paradigme oui, mais comment ?
    Cfr transition management en Flandres : Kristof De Brabandere, leur horizon est 2020. C’est  une étape, mais il faut viser 2040 => article de Paul Marie Boulanger (IDD) sur le transition management.
    François Sana :  on peut tirer une leçon de l’expérience des Flamands qui ont commencé à travailler de façon sectorielle sans vision plus globale à long terme, et partir au contraire du plus global.

Anne De Vlaminck : qu’on commence par le thématique ou le global, en tout cas l’idée de pacte social vise à mobiliser l’ensemble de la société sur ces revendications :
que les pouvoirs publics remédient aux causes des échecs et non aux échecs.
que la croissance n’est pas un objectif mais un moyen (il faut toujours le rappeler).

Rapport d’Antoinette Brouyaux intégrant les remarques de Diana Van Oudenhoven.