Ce fait de vie se déroule actuellement, il ne reprend pas la totalité des événements qui nécessitent de la part des personnes et des familles une vigilance accrue pour résister à la misère. Ce n’est pas pour régler des comptes ou dénoncer telle ou telle pratique en particulier.
Il est écrit et lu dans ce parlement pour témoigner des mémoires du courage des pauvres. Il est la parole et la pensée partagée d’une famille dont le regard sur son existence questionne notre société dans ses contradictions, sa capacité à entretenir et amplifier les inégalités.


Témoignage en format imprimable
Le compagnon :
Nous sommes une très grande famille recomposée, j’ai 3 enfants et ma compagne en a 10. A nous deux, nous avons 13 enfants dont 5 sont encore avec nous.

Depuis le 08 mai 2009, nous habitons ensemble officieusement, ma compagne est venue me rejoindre dans mon appartement qui est géré par une Agence Immobilière sociale (AIS) à Namur.

En septembre 2009, après avoir bien réfléchi, nous avons décidé de vivre officiellement ensemble en étant conscients des problèmes que cela comporterait.

La maman : 
«  Je me séparais de mon ex mari. La garde des enfants s’annonçait difficile ainsi que le partage de la propriété des biens communs. »

Le compagnon :
« En septembre 2009, nous vivions avec 5 de nos enfants, dont une fille de ma compagne, enceinte avec son mari et leurs deux filles qui à l’époque avaient des soucis de logement.
C’était un vrai camping à la maison! On inventait toutes sortes de choses, et on trouvait des solutions pour que tout le monde ait un lit et un espace pour dormir.

Mon revenu provenait du chômage et nous avions une partie des allocations familiales, nous vivions avec 1260 euros par mois. J’étais en médiation de dettes, donc, je devais remettre une partie et c’était encore plus difficile pour joindre les deux bouts. Il m’était impossible de faire les courses pour un mois avec ce revenu. Mais, je m’arrangeais et je faisais tout pour que les enfants ne manquent de rien. »

La maman :
«  J’étais préposée aux toilettes dans un snack, je travaillais 10h par jour. On m’avait promis un contrat et une fiche de salaire que je n’ai jamais eus. Je n’ai pas choisi de travailler en noir, j’avais mes enfants à nourrir. »

N’ayant pas un grand revenu, nous avons fait une demande au CPAS pour une aide alimentaire, afin de nous aider dans les frais scolaires, de santé,…
Le CPAS a refusé, « Vous n’avez qu’à travailler .
Après insistance, le CPAS nous a donné son accord pour trois mois.
Actuellement, il nous réclame le remboursement de cette somme, prétextant que mon compagnon gagne suffisamment. »

Narrateur :
En avril 2010, la famille reçoit un avis : d’autres locataires se plaignent du bruit et des désagréments occasionnés par leurs enfants et la situation de surpeuplement embarrasse.
A leurs frais, ils réparent les dégâts avec leurs enfants mais cela n’a pas été suffisant.

En juillet 2010, la famille reçoit un avis d’expulsion pour insalubrité par surpeuplement.

La maman :
« Nous nous mettons donc à chercher un nouveau logement. C’est difficile de trouver un logement surtout quand on est nombreux. Pour répondre aux normes, nous avons besoin d’un logement comportant 5 chambres pour y accueillir notre famille.

Narrateur :
La recherche de logement est difficile car la famille ne peut prétendre à un logement social du fait que la maman bénéficie d’une part de propriété sur la maison avec son ex mari dont elle s’est séparée.
C’est son ex mari qui continue à occuper la maison commune.

Les recherches multiples dans le marché privé du logement sont sans résultat positif. C’est trop cher, il y a trop d’enfants, le statut de chômeur…
tant de raisons font que les logements sont inaccessibles pour des petits revenus. Alors, si tout est bouché, même les lieux d’hébergements d’urgence, il reste la rue.

Le compagnon :
« En novembre 2010, nous participons tous deux aux Caves à LST et suite à cet avis d’expulsion, avec les participants des caves, nous avons décidé d’écrire une lettre pour demander qu’il n’y ait pas d’expulsion sans relogement. Nous demandons la garantie d’un logement pour la famille. Nous avons envoyé cette lettre au président du CPAS et à l’échevin des affaires sociales. »

Narrateur :
Les réponses prennent bien acte de notre courrier, ils vont essayer de trouver un moyen pour que la famille ait un toit mais ne promettent pas de résultats.
Avec l’aide d’un avocat, la famille établit un compromis avec l’AIS pour obtenir un délai de plusieurs mois supplémentaires, le temps de trouver un nouveau toit.
Durant plusieurs mois, la famille peut rester dans ce logement déclaré insalubre par surpopulation.

La maman :
« Suite à ce courrier, nous avons eu des contacts avec le service social de la ville. Nous avons eu une assistante sociale qui nous a écouté, nous a compris,…Avec elle, nous avons réfléchi ensemble, elle nous a demandé notre avis, elle nous a associé à la démarche.
A partir de ce moment là, les démarches avancent…Nous avons pris contact avec le notaire pour régler le problème de la maison, notre avocat s’est associé avec nous. Mais il faudra du temps car ces démarches sont très longues et très lentes.
L’assistante sociale s’est beaucoup décarcassée et en février 2011, une place s’est libérée en maison d’accueil. Au départ, nous n’avions pas très envie, mais c’était une bonne solution pour nos enfants et une situation provisoire. »

Narrateur :
La famille déménage et installe ses meubles et ses effets dans un garage qu’elle loue à la maison d’accueil.

Le compagnon :
« Aujourd’hui, cela fait 8 mois que nous sommes dans cette maison d’accueil. Même là, on n’a toujours pas de structure assez grande pour accueillir nos cinq enfants. Il nous faudrait deux étages de la maison d’accueil, et si on voulait accueillir notre famille entière, nous aurions besoin de la maison d’accueil toute entière. »

La maman :
« C’est très difficile, Nous avons l’impression de ne pas avancer. On ne se sent pas chez nous, on n’a pas beaucoup d’intimité, pour les enfants c’est compliqué. Nous avons des adolescents de 15 et 18 ans, et le week-end comme les autres soirs, tous les hébergés doivent être rentrés pour 22h.
Depuis que nous sommes hébergés en maison d’accueil, nous constatons que notre droit d’association est limité. Par exemple pour les rencontres de la Cave qui se passent le soir nous devons quitter la réunion avant la fin. Si nous désirons rester jusqu’au bout, nous devrions dormir dehors. »

Le compagnon :
« Nous ne gérons plus notre budget, notre revenu part pour les courses, nous sommes obligés de mettre ce que la maison d’accueil décide. Alors que nous préférions faire des petites courses comme avant et payer notre loyer à temps.
Du coup, nous sommes en retard de loyer, on a 4 mois de retard…C’est la politique de la maison d’abord les courses et puis le loyer.
Quand nous demandons de payer notre loyer à temps, notre assistante sociale nous rétorque, mais il n’en est pas question, il vous serait bien impossible de vivre.
A notre sortie, notre plus grande crainte, c’est de devoir payer 4 mois de retard à la maison d’accueil. »

Narrateur :
Cet hébergement en maison d’accueil coûte à la famille 528 euros par mois pour une chambre et une grande pièce.
Pour le logement précédent la famille payait un loyer de 400 euros par mois et constate qu’elle avait beaucoup plus d’autonomie.
La famille a donc été expulsée d’un logement pour cause de surpeuplement pour se retrouver dans la même situation en maison d’accueil.

La maman:
J’ai dû arrêter mon travail au snack.
La maison d’accueil refusait le travail en noir. C’est déjà difficile de trouver un job surtout quand on n’a pas de diplôme. J’envoie des CV un peu partout. Mon compagnon cherche aussi de son côté mais sans succès!
Je me suis inscrite comme demandeuse d’emploi à l’ONEm. Actuellement, pendant deux mois, je suis une formation en technicienne de surface. Je suis payée 1 euro de l’heure sans bénéficier d’autres allocations.
La première semaine, j’ai travaillé des journées de 8h et les semaines suivantes 4h pour toute la semaine.

Je regrette mon travail au snack. J’aimerais travailler comme technicienne de surface dans une entreprise qui me donnerait un vrai contrat, je toucherais 10,38 euros de l’heure et j’aurais droit à des primes de fin d’année, de vacances, …j’aurais beaucoup plus de garantie.

Le compagnon :
On en a marre, on ne sent pas aidé, rien n’avance. On ne se sent pas écoutés, on doit se plier à toutes sortes de choses, sinon nous sommes dehors. Des fois, nous avons envie d’exploser, tellement que c’est difficile, ce sont nos enfants qui nous tiennent.
Nous faisons tout cela pour eux pour qu’ils aient un toit, un soutien.
Si nos enfants n’étaient pas là, sans doute que nous serions à la rue.

Quand nous faisons le bilan de ces derniers mois, nous nous rendons compte que nous avons fait peu de choix dans les décisions qui ont été prises, presque tout nous a été imposé par des services sociaux et par des réalités qui limitent l’accès au logement. »

Narrateur :
Malgré le fait qu’elle n’a toujours pas retrouvé de logement, dans un mois, cette famille devra quitter la maison d’accueil.. C’est la règle.
La famille a demandé une dérogation pour rester 3 mois supplémentaires et elle attend une réponse ! Si c’est non, la famille devra faire une demande dans une autre maison d’accueil à Nivelles ou à Charleroi.

La maman :
« Ce que nous craignons alors, c’est pour la scolarité de nos enfants, devront-ils changer d’école en cours d’année ? Ou devront-ils faire les trajets ? pour l’instant, ils vont à l’école à pied, ça ne coûte rien.
Concernant nos démarches de recherche d’emplois et de logements, nous devrons faire de nombreux déplacements. Nous avons peur par rapport à notre revenu mais surtout pour le maintien de notre famille. »

Narrateur :
Nous sommes nombreux à pouvoir attester du combat quotidien de cette famille pour résister à la misère et maintenir une sécurité élémentaire pour tous. Cette histoire n’est pas aussi particulière que certains voudraient le dire.
C’est le lot de milliers de personnes et de familles de vivre des tensions d’une telle intensité à propos des aspects aussi élémentaires que se loger, se nourrir, vivre en famille,…..

L’injustice fondamentale subie par les plus pauvres est que la mesure adoptée pour leur garantir une survie est toujours une mesure de « minimas »
Minimum de revenu, minimum de surface habitable, minimum d’accès, minimum de droit..s

Début 2012, voici comment a évolué la situation de la famille:

Etant donné les difficultés de trouver un logement adapté et le risque de se voir imposer d’aller dans une maison d’accueil à Liège ou Charleroi au terme des 18 mois réglementaires, la famille s’est tournée vers des mécanismes de solidarité en allant vivre chez des amis.
Actuellement, la famille a pris en location un logement dans le privé. Non seulement ce logement n’est à nouveau pas adapté à la taille de la famille et de plus elle va perdre la priorité concernant l’accès aux logements sociaux.

Pour aider à comprendre:

Bien que ce témoignage parle de lui-même, nous souhaitons vous soumettre une grille de lecture qui permette d’épingler une série d’indicateurs qui ne vont pas dans le sens de droits durables.

Constat en ce qui concerne l’accès au logement pour les plus pauvres:

Trouver un logement pour les plus pauvres, relève de plus en plus du coup de bol:

 les loyers sont de + en + élevés

 il y a de très longues listes d’attente pour accéder aux logements sociaux et aux AIS

 les critères de salubrité condamnent les plus pauvres à l’expulsion ou aux taudis

 l’obligation de bilan énergétique augmente encore les loyers et les charges

 etc…

Les maisons d’accueil, n’ont même plus le rôle de transit. Au bout de 18 mois, sans solution de relogement c’est retour à la case départ : à la rue ou renvoyé vers une autre maison d’accueil dans une autre ville.
Donc, les solutions qui sont normalement mises en place comme tremplin ne le sont plus mais en plus risquent de mettre les gens dans des situations encore plus précaires.
C’est peut-être parfois la solution la moins mauvaise parce que ça évite de perdre tous les droits mais cela ne garantit aucunement l’avenir.

L’habitat en camping qui avant pouvait être une solution de relogement est maintenant beaucoup plus freiné et même interdit.
Plus de 9000 personnes en Wallonie vivent en zone de loisir, dans des campings et des domaines. Le Plan HP de la Région Wallonne veut mettre fin à ce type d’habitat mais il y a très peu d’autres accès au logement, c’est donc une pression supplémentaire mise sur les plus pauvres.
L’évaluation du plan HP parle d’un certain nombre de ménages qui ont été relogés depuis 2004. Il faut tout d’abord souligner que la proportion de ménages relogés est faible et que de nouveaux ménages, principalement à faibles revenus viennent encore régulièrement s’installer dans ce type d’habitat. Il faut ensuite souligner que pour un nombre important de ménages relogés on ne sait ni où ni dans quelles conditions ils vivent actuellement.

Analyse à partir du témoignage

En terme de conséquence:

La famille se retrouve dans un logement qui n’est pas plus grand voire plus petit. Ils ont donc finalement moins de place alors qu’ils ont été expulsés pour cause de surpeuplement
Le montant du loyer est plus élevé. La famille dispose donc de moins d’argent pour vivre et risque de s’endetter
Le mode de fonctionnement de la maison d’accueil fait perdre à la famille une grande part de maîtrise sur sa vie et ses choix:

 On leur impose une gestion budgétaire. L’assistante sociale leur dit d’assurer d’abord les besoins alimentaires de la famille et ensuite de payer le loyer s’il y a encore assez d’argent. Ils ont peur d’avoir des dettes envers la maison d’accueil et se demandent comment payer un loyer par la suite

 Pour garder leurs meubles ils doivent payer un garage qui appartient à la maison d’accueil. Un surcoût supplémentaire qui accentue le risque d’endettement

 Ils ne peuvent plus avoir recours à des solutions de débrouille qui leur permettaient de s’en sortir (solidarités familiales, aller chîner à droite et à gauche…) parce que cela n’est pas admis en maison d’accueil

 Les horaires imposés par la maison d’accueil limitent l’exercice du droit d’association

En terme de constat:

Il y a eu énormément d’énergie développée par des travailleurs sociaux autour de la famille et cela ne lui a pourtant pas permis d’aller vers un mieux.

Au contraire, ce que les services ont mis en place (la maison d’accueil avec sa méthode de travail et son mode de fonctionnement) fragilise la famille qui se retrouve dans une situation plus délicate encore: risque d’endettement, perte de maîtrise…

De plus, dans la maison d’accueil, la famille n’est pas moins sous pression vu le délai de 18 mois règlementaire, mais la réponse donnée est légale.
Donc on fait passer des situations estimées non légales (surpeuplement, insalubrité…) vers une institution bien encadrée qui n’apporte aucun changement matériel mais qui impose des cadres qui sur le long terme coûteront très cher à la famille et lui feront perdre une grande part de maîtrise.

En terme de garanties pour l’avenir:

A la lumière de ce témoignage, on constate que ce qui a été mis en place ne garantit aucunement l’avenir de la famille.
Ce n’est pas pire que la rue, mais c’est pire qu’avant.

De plus en plus les législations conditionnent nos droits, que ce soit au niveau du logement, des allocations sociales, du droit à vivre en famille, de la santé…
Elles nous encadrent et nous contrôlent et nous permettent de moins en moins de construire un avenir durable pour nous et nos enfants. Au contraire, bien souvent elles nous enfoncent encore un peu plus dans la misère.

Ce qu’on vit n’est pas durable. Nous ne voulons pas de solutions qui démaîtrisent et déstructurent nos familles. Nous voulons construire des choses qui durent au niveau du logement, de la sécurité d’existence, du droit à la famille…

Il faut que nos propres balises soient entendues et respectées.