Au Canada, durant la récente campagne électorale, un large mouvement de la société civile a vu le jour : The Leap Manifesto, soit “Un grand bond en avant”, en français. Sa proposition: une transition énergétique fondée sur la justice sociale et climatique. En ralliant de nombreux mouvements de la société civile, l’équipe de Naomi Klein a montré que son message “Tout peut changer” n’est pas désincarné… Et qu’il porte ses fruits! Pourquoi pas chez nous?


leappresentation.jpg L’initiative The Leap Manifesto / Un grand bond en avant est venue au départ d’organisations découragées par 8 années sous un gouvernement ultra-libéral, dirigé par Stephen Harper, peu soucieux de justice sociale et climatique. Leur désir de changement butait sur un constat : les rivaux politiques d’Harper ne parlaient pas du défi climatique de façon convaincante. Il fallait rehausser le débat, et prendre le problème à bras le corps, avec un projet positif, enthousiasmant, basé sur un large consensus.

De « quelques arpents de neige » au grand bond : le processus

A l’image de cette expression dépréciative de Voltaire, la réputation du Canada n’était pas fameuse ces dernières années : en tout cas parmi les populations subissant les dégâts des industries extractives canadiennes en divers endroits du monde et parmi les environnementalistes déplorant le retrait du protocole de Kyoto par le Canada.

Naomi Klein et l’équipe de son projet This changes everything ont alors décidé de briser les murs entre les différents secteurs de la société civile en organisant, à Toronto, une convention de 2 jours au printemps 2015, avec des leaders de mouvements très divers, venus de tout le Canada : représentants des peuples indigènes, défenseurs des droits civiques, des migrants, de la justice sociale, environnementalistes, syndicats, etc.

De par les distances, les langues et les préoccupations différentes, ce genre de réunion n’est pas si fréquent. Au-delà de manifestations ponctuelles réunissant différents fronts, ces mouvements se connaissaient mal, et l’articulation s’annonçait ardue. Il fallut donc mettre le paquet pour réunir ces personnes et les faire partager leurs préoccupations, priorités, leurs rêves et en dégager un consensus sur un programme de transformation radicale, ambitieuse de la société, à laquelle toutes les parties pouvaient adhérer.

Unir sur le « yes », et non plus sur le « no »

Qu’entendons-nous par justice climatique ? Par énergies renouvelables ? Par « changer le système » ? Quelle société voulons-nous ? Bien sûr, il y a des différences entre ces mouvements et leurs porte-parole, certains se détestent même ! Mais l’enjeu était de briser les cocons : la sécurité vient de la solidarité, autour d’un projet porté très largement.

Après cette convention, une ébauche de texte a circulé, a été soumise à l’avis de personnes de confiance, traduite en différentes langues, mise en page puis proposée à la signature d’un grand nombre de personnes influentes : savants, écrivains, vedettes du show-bizz… De façon assez surprenante, nombre d’entre elles ont accepté de soutenir la démarche qui fut rendue publique lors d’une conférence de presse retentissante, dans le cadre du festival du film de Toronto. Toute la presse était présente, et les échos médiatiques ont suivi. Certains étaient franchement critiques, mais aucun des signataires ne s’est rétracté.

A partir de là, le Grand bond en avant a circulé, durant toute la campagne électorale, a rallié de nombreux signataires et inspiré toutes sortes d’initiatives. Des candidats aux élections s’en sont emparés, de sorte que le « grand bond » et sa vision holistique devenaient incontournables dans le contexte électoral. Au final, le changement politique a eu lieu, et même si la prudence est de mise au sujet de la nouvelle équipe au pouvoir, les porteurs du Leap Manifesto sont déjà rassurés de constater qu’en matière de politique climatique, Julien Truddeau n’est pas obstructionniste comme l’était son prédécesseur. Son équipe, paritaire, reflète aussi la grande diversité de la population canadienne. Reste à présent à réaliser le « grand bond » concrètement!

Prochaines échéances

2016 est une année bissextile. Or, en anglais, le 29 février est appelé “Leap day”. C’est pourquoi, nous explique Naomi Klein, ce jour bondissant de 4 ans en 4 ans a été choisi pour représenter le grand bond dont notre société a besoin (par extension, ce mouvement propose de faire de 2016 une leap year).

Profitons des imperfections de notre calendrier pour ajuster notre créativité aux défis du moment. Plutôt que de changer le système, les politiques et les industries négocient pour ne pas changer. Cette approche est un vieux réflexe. Un regard en arrière. Au lieu de stopper les émissions aussi vite que possible, ils se battent pour garder leurs fonctionnements. Le Leap manifesto, c’est juste le contraire, bondissons ! Partageons la conviction qu’on peut changer la société pour le meilleur. Pour les indigènes, pour les sans emploi, pour la sécurité sociale, et en accueillant bien plus de réfugiés. Toutes les parties au projet reconnaissent le moment historique. La crise climatique n’est pas la seule crise, il y a aussi les inégalités qui se creusent, il faut donc des solutions intégrées. De la sorte, tout le monde sera aussi plus motivé pour s’y impliquer. C’est l’essence de la justice climatique.

Un exemple inspirant pour la Belgique

Dans le panel, outre Hassan Yussuff qui représente les syndicats, Maude Barlow, du Council of Canadians et Crystal Lameman, du Beaver Lake Cree Nation, il y a aussi Christian Poll, député Danois du parti The Alternative. Celui-ci s’attache à faire connaître le Leap Manifesto en Europe, parmi les différents partis politiques et les mouvements sociaux.

Dans le contexte politique belge actuel, on imaginerait bien Hart Boven Hard et Tout autre Chose s’allier à d’autres mouvements pour lancer un tel appel. Non pour nous allier « contre » des politiques rétrogrades, mais pour un projet ambitieux de transition juste et radicale ne laissant personne de côté. L’idée vient d’un pays bilingue comme le nôtre, où les partis au pouvoir ne s’occupent du climat que sous la pression.

En Belgique, il aura fallu l’initiative du Climate Express, l’opiniâtreté des organisations membres de la Coalition Climat, la perspective d’un procès entamé par Klimaatzaak et enfin la pression internationale de la COP21 pour que l’État Belge finalise enfin un accord entre les trois régions et l’État fédéral, ce 5 décembre 2015, pour le partage du burden sharing. Saint-Nicolas n’aura pas manqué de leur faire remarquer qu’au passage, ils ont sabré dans les financements pour l’adaptation des pays du Sud aux changements climatiques (50 millions par an, c’est largement insuffisant puisqu’il faudrait atteindre 500 millions d’euros annuels d’ici 2020, pour refléter la part de l’effort nécessaire de 100 milliards de dollars annuels au niveau international). Et que la même semaine, l’État fédéral a donné son accord pour la remise en fonction de deux centrales nucléaires croupissantes…

Trois petites Belges se retrouvent à l'issue du débat, sous l'inscription inspirante d'une phrase d'Olympe de Gouges: Stéphanie Hermant, Antoinette Brouyaux, Laure Kervin Quelle alternative unie et concertée proposons-nous aux citoyens des différentes régions, fondée sur le souci de la planète et la sollicitude des uns envers les autres ? Aujour’d’hui nous ne vivons pas en accord avec nos valeurs, mais nous pourrions le faire, nous dit le Leap Manifesto. Si nous bondissons ensemble vers une transition énergétique fondée sur la justice….

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