Devant une salle comble de près de 2000 personnes, après avoir répandu symboliquement 15 000 litres de lait sur les bâtiments de l’Europe, la tribune réunit trois députés verts européens et des représentants des producteurs de lait de divers pays d’Europe.


Erwin Schöpges, Vice-Président du MIG et administrateur de l’European Milk Board, déplore que le Commissaire européen Dacian Ciolos, les députés européens socialiste Di Castro et le conservateur Dantin se soient désistés. On apprendra le lendemain que M. Dantin était bien hospitalisé en France. M. Ciolos et De Castro seront amenés à s’expliquer dans le chapiteau des paysans sur la Place Luxembourg dès le lendemain matin vu une action spontanée de blocage des entrées de la DG Agri et même du Berlaymont dès 7H30 par 40 tracteurs belges, allemands et français, une poignée sur les 800 en ville.

Isabelle Durant n’y va pas par 4 chemins : « Vous avez raison de demander des règles du jeu correctes. Mais entre nos revendications et ce que certains pensent, il y a encore un grand écart… Soyons concrets : la première urgence est de réguler la production dans le secteur du lait. Les Ministres au Conseil doivent bouger également. On ne peut pas supprimer les quotas sans mettre autre chose à la place.
Ensuite il y aura le budget de la PAC. Là non plus, il n’y a pas d’accord. Là aussi, il va falloir bien bouger… »

Selon José Bové, « Le Président de la Commission Agriculture du Parlement européen n’ose pas venir dire les décisions qui ont été prises. Tous les jours Paolo Di Castro trahit les paysans et fait le jeu de l’industrie ! Les manifestants ont bien visé en arrosant de lait les vitres de la salle où cette commission se réunissait. La majorité des hommes politiques ne comprennent que le rapport de forces. En 2009, ils avaient soi-disant entendu les paysans mais ils continuent de nier que les coûts de production soient intégrés dans le prix du lait. Ils savent aujourd’hui qu’un litre d’eau vaut plus cher qu’un litre de lait ! Ils savent que si rien ne change, la moitié des paysans auront bientôt disparu… C’est peut-être ça qu’ils veulent ?
Pourquoi les éleveurs et producteurs de lait sont-ils dix fois moins aidés que les producteurs de céréales ?
Ce n’est pas normal que 80% des aides de la PAC aillent à 20% des paysans ». José Bové se bat donc pour que les paysans soient en mesure de se défendre. « Les producteurs de vin sont bien en train de gagner une bataille pour les droits de plantation ! C’est maintenant ou jamais ! Nous avons 6 mois pour gagner ce combat ! Il faut rester mobilisés, continuer la pression sur les décideurs. »

Sieta van Keimpema, Vice-Présidente de l’European Milk Board, résume la situation : « Aujourd’hui, les prix sont au même niveau qu’il y a 25 ans. Or nos coûts de production ont augmenté de 30 à 40% ces dernières années. Aux Pays-Bas, les coûts de production sont de 45 cents. Mais on n’obtient jamais ce prix. Pourquoi ? Parce que le marché n’est pas vraiment libre, ni équitable. Car les producteurs n’ont pas le droit de se rassembler afin de réguler les volumes, via les quotas, et de s’entendre sur les prix. Si nous devons travailler pour les prix du marché, les politiques aussi ! Ou qu’ils ne fassent rien plutôt que de se mêler d’un marché qu’ils ne connaissent pas ! Nous devons pouvoir nous regrouper comme le fait l’industrie. Ces dernières années, la laiterie Campina a fait 1056% de bénéfices cumulés ! »

Martin Haab parle du marché Suisse : là, les quotas ont été abolis, il y a déjà quelques années. Tout le monde peut produire autant qu’il le souhaite. Du coup c’est le chaos ! Les politiques européennes ont cet exemple devant les yeux, est-ce donc ça qu’ils veulent ? Il existe une segmentation des prix en Suisse, selon que l’on vend dans le pays, en UE ou hors UE. Mais ça ne marche pas car quelle que soit sa destination, le lait doit être d’égale qualité. Bref, les prix ont diminué à tel point qu’à partir de juin 2012, la production a diminué de 2 à 3%. Les producteurs se rendent compte que ça ne vaut plus la peine mais ils sont coincés avec leurs contrats qui les obligent à produire un certain volume, sans quoi, ils doivent payer des indemnités aux laiteries. S’ils produisent plus, le surplus est payé moins de 20 cents !
Evidemment, les laiteries misent là-dessus pour faire encore baisser les prix. Bref, c’était déjà dur avec les quotas, c’est pire sans. Que les producteurs de l’UE continuent de lutter !

Romuald Schaber, président de l’EMB, rétorque que dans l’UE, il y a encore des quotas mais la situation est comparable car ceux-ci sont fixés par les politiques, sans tenir compte des réalités du marché (offre et dermande). Lorsque l’on voit les contrats que les laiteries françaises font signer aux producteurs : cela devient comme en Suisse ! Il y a le lait A et le lait B, le quota excédentaire B est payé moins cher. Il faut donc que les producteurs puissent se concerter sur les prix, et créer une agence de surveillance (monitoring). L’EMB a élaboré des propositions précises en ce sens et continuera de les défendre…

Martin Haüsling, député vert allemand, est lui-même un producteur de la région de Hesse, membre de l’organisation allemande affiliée à l’EMB. Où sont les collègues de la Copa et de Cogeca ? Ils nous ont trahis ! Ils défendent les producteurs d’autres produits mais favorisent la libéralisation du lait. M. Hausling a aussi été choqué d’apprendre que l’Association des laiteries allemandes se réjouissait de la sécheresse aux USA, pour pouvoir livrer en Chine… Se faire la guerre entre producteurs ne profite à personne. Il faut au contraire pouvoir se regrouper entre producteurs, c’est pourquoi le groupe des Verts a voté contre le paquet lait car il ne permettait pas assez ce regroupement.
A présent, maintenons la pression. Lorsque le lait a été projeté contre les vitres de la Commission Agriculture du Parlement, les parlementaires ont eu peur !
Cependant, ils envisagent toujours de diminuer les primes à la surface. Une députée bavaroise a osé parler de « filet de sécurité » pour le prix de 20 cents. D’autres encore prônent les assurances pour garantir des prix, celles-ci seraient payées par les producteurs pour que les laiteries leur disent « on ne peut pas vous payer plus, allez voir votre assurance ! » ? C’est insensé.
Voilà bien un mécanisme typique du secteur financier. Quant aux conservateurs, qu’ils aillent voir la libéralisation en Suisse ou aux USA où il n’y a plus que quelques énormes producteurs !

Une question est posée sur les agriculteurs actifs : c’est en effet encore un scandale de plus, qu’avec seulement 5% des revenus issus de l’agriculture, on puisse être considéré comme actif. De la sorte, les financiers s’accaparent les terres, comme c’est déjà le cas pour 50% des terres achetées en UE ces dernières années. A présent, il faut des actions dans chaque pays et il y en a déjà eu : du fumier a été déposé devant le siège de la CDU en Allemagne. De plus en plus de Ländern (équivalent des provinces en Allemagne) rejoignent les positions de l’EMB.

Conclusion : Quand la Wallonie et Flandres rejoindront-ils les rangs des régions qui défendent leurs agriculteurs ? Faudra-t-il attendre qu’on soit retournés au moyen-âge, quand les paysans, appelés “serfs”, travaillaient comme des esclaves sur les terres des Seigneurs ? Ce temps est presque déjà de retour avec les contrats qui paient sous les coûts de production et au rythme de la disparition des fermes: encore 900 de moins en 2011 en Belgique où l’on n’en compte plus actuellement que 13.000 !

Puisqu’il faut rester mobilisés, et pour terminer sur une note réconfortante, on peut aussi soutenir les éleveurs en achetant le lait équitable Fairebel et en allant visiter ceux qui ont pu diversifier leur activité avec l’écotourisme ou qui pratiquent le « woofing » (travail bénévole à la ferme).

Nous sommes ainsi les bienvenus sur l’alpage de Werner Matieschek, sympathique producteur de lait autrichien, qui accueille les randonneurs dans son chalet de juin à septembre.

Attention, lui et sa femme Lisi ne parlent que l’allemand et il n’y a pas d’électricité là-haut ! N’oubliez pas votre lampe de poche et votre dictionnaire ! Et surtout merci Werner de t’être déplacé jusqu’à Bruxelles comme 3000 autres de tes confrères, avec ou sans tracteur !

Actualités du secteur paysan

 MIG – Milk Interest Group / Mouvement des éleveurs belges (membre actif de l’EMB) organisateur de la manifestation du 26 & 27/11/12.

 EMB – European Milk Board

 FAIREBEL

 Les ONG de coopération au développement soutiennent les producteurs de lait européens