Le 25 septembre 2012, un hommage vibrant fut rendu à Theo Rombouts, qui remettait la présidence du CFDD à son successeur, Philippe Maystadt. Divers partenaires sociaux ont ainsi loué la diplomatie de Theo Rombouts, l’énergie et le temps investis dans sa fonction et son sens aigu de la concertation sociale. Dans cet interview, il revient pour nous sur ses 15 années au service du développement durable… Et transmet un message aux ONG !


Théo rombouts et son successeur Philippe Maystadt

Associations 21: Monsieur Rombouts, pouvez-vous nous rappeler le parcours professionnel qui vous a amené à la présidence du Conseil Fédéral du Développement Durable ?

Theo Rombouts: J’ai travaillé tout d’abord dans l’action sociale, puis 15 ans pour le développement économique de la Province d’Anvers. Cette zone incluant le port, la Campine et la région de Malines, j’en ai retiré une bonne connaissance du monde des entreprises. Ensuite on m’a demandé de devenir président de l’ACW (équivalent du MOC), fonction que j’ai assurée pendant 12 ans. Enfin j’ai présidé le Vlaams Welzijns verbond regroupant près de 700 asbl de services aux personnes.

Suite au sommet de Rio en 1992, la Belgique fut pionnière dans la mise sur pied d’une structure de concertation regroupant, en plus des partenaires sociaux traditionnels (employeurs et syndicats), les « groupes majeurs », soit la société civile au sens large, avec des ONG d’environnement et de coopération au développement. A sa création, c’était un Conseil National pour le Développement Durable, présidé par le Prince Philippe. J’en étais un des vice-présidents. En 1997, une loi constituant la structure légale du développement durable a été votée suite à laquelle ce conseil est devenu le Conseil Fédéral du Développement Durable (CFDD). J’en suis devenu le président et le prince Philippe, le président d’honneur.

A l’époque je terminais mon 3ème mandat à l’ACW et ma mission au CFDD s’inscrivait comme une suite cohérente dans mon parcours: le développement durable était désormais la voie d’avenir. Mon mandat aurait dû prendre fin en 2010. Mais il y a eu la crise politique que vous savez, et il a fallu attendre un nouvel accord sur la réforme du CFDD: j’ai donc « géré les affaires courantes » !

Quelles évolutions avez-vous constatées durant ces 15 ans ?

Le développement durable est entré dans les moeurs, dans les choix faits tant par les entreprises que par les familles. Les critères de durabilité sont désormais incontournables même s’ils ne sont pas nommés comme tels: on combine beaucoup plus qu’avant les raisons économiques, environnementales et sociales. Qu’il s’agisse de l’énergie, de l’aménagement du territoire, de la consommation des ressources, tout le monde est conscient des changements nécessaires. Peu importe qu’on parle de développement durable ou non, c’est la mise en oeuvre qui importe. On ne peut pas dire non plus « ça s’est passé à tel moment », c’est une tendance de fond.

Cependant, les exécutifs sont toujours organisés par départements. Au niveau fédéral et ailleurs, chacun s’occupe de son métier. Or il importe que les décisions prises dans chaque domaine prennent en compte les différents critères de durabilité. Malheureusement, les évaluations de l’impact des décisions sur le développement durable (EIDDD, appelées aussi « tests de durabilité ») ne sont presque pas utilisées. D’où le fossé entre paroles et actes : on accepte encore rarement qu’une décision dans son métier soit modifiée à cause d’impacts dans d’autres secteurs.

Prenons l’exemple de la mobilité : l’objectif d’un responsable de la mobilité sera de réduire les temps des déplacements. Est-ce vraiment positif sur le plan social, économique et environnemental ? La transversalité des décisions doit être mieux acceptée par chaque partie au gouvernement.

Les communes sont-elles concernées ?

Certainement ! Là aussi il y a eu des évolutions mais beaucoup reste à faire. C’est un niveau où il est plus facile de montrer au citoyen que chaque décision doit être acceptable au regard des différents critères de durabilité. Pour le moment, tout le monde parle de sécurité mais quid de la santé ?

Les discours évoluent en ce sens, même sans la marque « DD »: idem dans les entreprises, qu’il s’agisse de leurs missions ou de leurs pratiques; au niveau international, on prend plus en compte la biodiversité, la pauvreté et les problèmes qu’elle engendre, les changements climatiques… Ces sujets ne sont plus traités comme des faits divers mais comme des matières essentielles.

Les décisions ne suivent pas toujours…

C’est vrai, parce que c’est conflictuel. Avant on considérait que le commerce international allait tout résoudre. Les discours changent mais les intérêts demeurent… En tout cas on en discute, ces problèmes sont placés dans l’agenda politique. Les lobbies sont parfois plus forts mais il leur est plus difficile d’imposer leurs lois et ils ne s’opposent d’ailleurs pas toujours aux changements.

Quelle est votre analyse des résultats de Rio+20 ?

Ce qui m’a frappé dans tous les rapports que j’ai lus, c’est le nombre de réactions sceptiques ou franchement négatives. Les diplomates et ceux qui suivent les travaux de l’ONU depuis longtemps sur le développement durable, sont beaucoup moins pessimistes et ils ont raison. Les succès des sommets mondiaux ne doivent pas être comptabilisés en nombres d’engagements consignés dans les grandes déclarations qui en sortent, l’important est qu’ils tracent la direction vers laquelle on veut aller.

Une conférence de l’ONU comme Rio+20 est une situation ponctuelle. En 1992, la situation était mûre, suite aux changements géostratégiques entraînés par la chute du mur de Berlin. En 2012 l’ambiance est différente mais cela ne signifie pas qu’on n’a pas progressé. Avant, le développement durable était souvent résumé à l’environnement. Maintenant, le social y est mieux intégré. Si l’on considère que l’avenir de notre planète exige une organisation plus sociale du monde, c’est fondamental. De plus, chaque instance va mieux suivre ce qui se passe aux divers niveaux de gouvernance du développement durable.

Au lieu de compter les engagements (qui au niveau de l’ONU ne sont pas légalement déterminants), vérifions si Rio+20 a créé des objectifs, indiqué une direction, et surtout si ensuite, cette vision est mise en oeuvre. Voilà qui nécessite du temps et des connaissances techniques, et qui n’est possible que si on sait où l’on veut aller. C’est évidemment toujours dans la mise en oeuvre que les discussions s’enlisent. Malgré tout, à Rio+20, on a adopté le cadre de programmes à 10 ans pour modifier les modes de consommation et de production.

Ce cadre de programmes intéresse les associations désireuses de contribuer aux changements des modes de consommation et de production !

C’est pour cela que le monde associatif est tellement important. En tant que président, j’ai aimé voir changer le rôle des ONG. Avant, elles n’étaient pas présentes de façon structurée dans le processus de décision politique. Rio-1992 a déjà permis de les y intégrer. Et petit à petit, le comportement des associatifs a évolué. Vous avez appris un nouveau métier ! Auparavant, vous étiez plus occupés par les activités de sensibilisation. Maintenant le dialogue s’installe dans le coeur des processus politiques. Les associations s’y professionnalisent. Leurs représentants savent qu’à certains moments ils vont devoir défendre leurs idées aux côtés d’autres acteurs. Il ne s’agit plus seulement de s’occuper des membres… Il faut adopter une posture politique. Désormais, les experts associatifs sont de taille. Avant, les associations défendaient des grandes idées, maintenant elles peuvent débattre de modifications techniques des processus de production, par exemple.

Il y a aussi un meilleur respect mutuel entre partenaires sociétaux car chacun est au courant des connaissances scientifiques et des intérêts économiques et sociaux à la base des discussions. Chacun a appris à être attentif aux arguments des autres… Cette évolution est très perceptible au CFDD.

Alors pourquoi a-t-on diminué les places des associations au CFDD ?

Les responsables politiques ont estimé qu’un rééquilibrage était nécessaire, au vu du compte des voix s’exprimant dans un sens ou dans l’autre, lors des votes. Mais au CFDD, l’important n’est pas tant de compter les voix (comme dans un parlement) que d’identifier quel groupe exprime quel point de vue. In fine, les mêmes groupes restent (les ONG ont moins de sièges, mais il y a toujours un groupe environnement et un groupe coopération au développement, NDLR) donc cette réforme ne changera pas grand chose. C’est un fait que souvent, syndicats et ONG ont des points de vue proches, contrairement aux entreprises qui s’estiment dès lors isolées.

Quels conseils donneriez vous aux ONG pour qu’elles optimalisent les places qu’il leur reste ?

Vous le savez, le vrai travail se fait dans les groupes de travail et là, il n’y a pas de limites au nombre de personnes par groupe. Il faut y envoyer des personnes compétentes et disponibles. Ceci vaut pour chaque groupe. Participer au processus politique nécessite des moyens.

Avez-vous un message plus général à adresser aux ONG ?

J’en ai deux ! D’abord, il faut avoir une mission, savoir ce que l’on veut : être dans un conseil d’avis n’est pas un but en soi. Et être fiable : allier mission & conviction.

Et puis, si l’on veut exercer une influence durable (dans le temps), il faut accepter que son interlocuteur a une mission lui aussi. Même si on est d’avis que sa mission est erronée, cela vaut la peine de s’y intéresser. En général elle n’est pas aussi erronée qu’on le pensait ! D’où l’intérêt d’apprendre à écouter: tout d’abord votre mission sera mieux comprise, ensuite vous pourrez l’améliorer au contact d’autres réalités. Si on fonctionne toujours en vase clos, évidemment on a toujours raison… Pour ma part, j’aime le dialogue, si les interlocuteurs sont des personnes de convictions, aptes à écouter celles des autres.

En effet, les ONG elles-mêmes se sentent parfois piégées dans la polarisation…

En 15 ans, on a pu dégager beaucoup de compromis. Ce n’est pas parce qu’on accepte un compromis qu’on trahit sa conviction. Je sais que selon les associations, le monde économique n’avance pas mais ce n’est pas vrai. Beaucoup d’entreprises font un travail énorme et positif. Il faut pouvoir le reconnaître. Certes, dans une coupole, certaines pèsent plus que d’autres.

Vous avez dit, dans votre interview au Bond, que les jeunes constituent un levier…

J’expliquais que dans le dialogue social, si on accepte de regarder les réalités, on peut à la fois voir les opportunités et rectifier le tir. C’est le principe du levier. Le développement durable ne doit pas devenir le récit d’une cohorte (au sens démographique du terme) : sans quoi ce sera bientôt le récit des anciens et nous serons perdus. Il faut des liens entre les tranches d’âge, les générations. Je plaidais donc pour qu’on travaille avec ceux qui ont 20 ans aujourd’hui (les « twintigers », dit-on en néerlandais), pour assurer la continuité. C’est une condition de la réussite…

Merci Monsieur Rombouts, pour votre attention aux associations, et aux « twintigers » ! On s’en souviendra !