Le 14 juillet 2020, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé Objectifs de développement durable – Programme 2030 de l’ONU : mise en oeuvre, suivi et rapportage par les pouvoirs publics en Belgique. La Cour des comptes a examiné comment les pouvoirs publics s’engagent et s’organisent expressément à l’égard du programme 2030, et si les niveaux de pouvoir belges ont élaboré un système adéquat pour réaliser les 17 Objectifs de développement durable (ODD), suivre l’avancement de leur réalisation et en faire rapport. La Cour des comptes s’est focalisée sur la coordination au sein des niveaux de pouvoir et entre eux.

En introduction, elle souligne que la Conférence interministérielle du développement durable (CIMDD) ne se réunit plus depuis fin 2017. « En principe, la présidence de la CIMDD passe tous les six mois à un pouvoir public différent. À la suite de discussions au sujet de la présidence d’autres conférences interministérielles, l’alternance a été supprimée en 2015 pour l’ensemble des conférences. Le gouvernement flamand, qui présidait la CIMDD à ce moment-là, est ainsi resté président intérimaire, mais n’exerce plus cette présidence de manière active depuis début 2018 ».

« La stratégie nationale qu’elle (CIMDD) a élaborée en 2017 ne contient pas d’objectifs spécifiques. Les chantiers de coopération qu’elle prévoit s’attachent surtout aux processus sans contenir d’objectifs chiffrés. Le deuxième rapport d’évaluation de la stratégie nationale, prévu pour mars 2019, n’a pas encore été élaboré ».

Indicateurs

« Des indicateurs permettent de suivre la politique en matière d’ODD. Un premier état des lieux de la politique menée a été dressé pour 34 indicateurs. En 2018, l’Institut interfédéral de statistique a élargi cet ensemble d’indicateurs et rassemblé des données de mesure pour 82 indicateurs. Une ventilation par région est prévue pour 32 indicateurs depuis février 2020 ».

« Les indicateurs de suivi des ODD d’un niveau de pouvoir ont aussi été élaborés différemment. Souvent, il n’y a pas de valeurs cibles ni de mesures zéro et les indicateurs ne sont pas clairement liés aux programmes gouvernementaux ni aux actions issues des plans stratégiques qui concernent les ODD. Le rapportage sur les ODD se limite en général à citer les actions mises en œuvre, sans les évaluer par rapport aux ODD. La Cour des comptes recommande que la CIMDD reprenne son rôle de coordination et veille à poursuivre le rapportage international dans un examen national volontaire adapté qui comporte des objectifs actualisés et chiffrés et se fonde sur le programme 2030 ».

La Cour des comptes adresse donc « des recommandations à l’ensemble des niveaux de pouvoir. Ceux-ci doivent considérer la nouvelle stratégie nationale comme une vision commune dans laquelle inscrire leurs plans stratégiques et autres engagements politiques en matière de développement durable. Ils devraient également y transposer les ODD mondiaux en objectifs concrets, chiffrés et axés sur leur propre niveau de pouvoir et, ensuite, y associer les mesures stratégiques nécessaires. Les autorités doivent définir des valeurs cibles pour les indicateurs. En outre, la Cour des comptes recommande de planifier la préparation de la politique et l’implication des citoyens et des parties prenantes ainsi que d’assurer une coordination et un suivi plus explicites des plans et des mesures stratégiques afin de garantir un rapportage périodique aux parlements. Les autorités doivent clarifier les responsabilités de tous les acteurs publics et estimer les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs. » Pour aller plus loin, cf p.34 à 36 du Rapport.

International

A propos de la position internationale, la Cour des comptes pointe (p. 28) que « la Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD) porte uniquement sur la politique intérieure et ne tient pas compte de la dimension internationale, alors que plusieurs (sous-)objectifs du programme 2030 abordent des thèmes sur lesquels la Belgique peut agir par la coopération au développement (ex. le sous-objectif 3.3 « mettre fin au paludisme »).

Elle relève (p.32) que « le SPF Affaires étrangères organise régulièrement une plate-forme « CoorMulti Développement durable » pour déterminer la position internationale de la Belgique concernant les ODD. Une « CoorMulti » se compose de représentants de tous les pouvoirs publics (fédéraux et fédérés) et coordonne la position belge préalablement à une conférence multilatérale. La SNDD ne peut cependant pas suffire comme ligne de conduite dans le cadre de ces travaux, parce qu’elle n’aborde pas la dimension stratégique internationale (voir point 2.1.2).

Au cours du deuxième cycle du Forum politique de haut niveau des Nations unies (2020- 2024), la Belgique pourra présenter un nouvel rapport national volontaire sur les progrès réalisés. Si la CIMDD n’est pas réactivée, la CoorMulti assumera ce rôle. Dès lors que certains sous-objectifs du programme 2030 doivent déjà être réalisés en 2020, il conviendrait d’élaborer ledit rapport le plus rapidement possible. Aucun accord n’est pour l’instant intervenu quant à une telle réédition.

Une bonne pratique en matière d’implication des parties prenantes : la Cour des Comptes relève (p.33) que « Bien que l’accord-cadre sur le fonctionnement de la CoorMulti ne le prévoie pas, le SPF Affaires étrangères invite depuis de nombreuses années des parties prenantes de la société civile à participer à chaque CoorMulti sur le développement durable en tant qu’observateurs. Elles participent aux débats pour parvenir à définir une position belge coordonnée et peuvent ensuite faire partie des délégations. Le Conseil fédéral du développement durable en est, par exemple, un observateur permanent. D’autres organisations spécifiques sont parfois aussi invitées, en fonction des ODD inscrits à l’ordre du jour d’une conférence internationale ».

En effet, c’est ainsi qu’Associations 21 avait pu participer à Rio+20 en 2012 et que le CNCD-11.11.11 et son homologue néerlandophone sont régulièrement présents aux CoorMulti, tout comme les délégués des jeunes, francophone et néerlandophone. Echo du HLPF 2020 par Norman Vander Putten, délégué du Forum des Jeunes.

Sensibilisation et dialogue sociétal

En matière de sensibilisation, la Cour des Comptes salue notamment le site web www.sdgs.be lancé en septembre 2016. Bien qu’il s’agisse d’une initiative de l’Institut fédéral pour le développement durable (IFDD), le portail aborde les ODD d’un point de vue international, national, fédéral et fédéré. Le site web met beaucoup de ressources à disposition (brochures, multimédia, etc.) et constitue un recueil d’initiatives en matière d’ODD ». Cependant, « Comme le site web est une initiative fédérale à laquelle les entités fédérées ne collaborent pas, les informations relatives aux communautés et aux régions sont souvent sommaires et dépassées. Le site ne s’attarde par ailleurs que sur les efforts de communication fédéraux, tels que la désignation des « SDG Voices » qui, en tant qu’ambassadeurs, doivent promouvoir les ODD auprès du grand public ».

« Selon la loi fédérale du 5 mai 1997, des représentants de la société civile (acteurs économiques, associations de protection de l’environnement et de coopération au développement, universités) font partie du Conseil fédéral de développement durable (CFDD). Cet organe peut émettre des avis et proposer des études scientifiques dans les domaines liés au développement durable. Il a également pour mission de « susciter la participation active des organismes publics et privés ainsi que celle des citoyens à la réalisation de ces objectifs ».

Associations 21 est membre des groupes de travail Stratégie et Relations Internationales du CFDD et participe ponctuellement à diverses autres activités, mais n’est pas formellement membre de l’AG qui adopte les avis. Les ONG de développement et d’environnement y sont représentées.

« Tant le Conseil fédéral que le citoyen doivent être consultés lors de la préparation de tout nouveau plan fédéral de développement durable ». Le dernier plan remonte… A la période 2004-2008 ! Et n’a pas été renouvelé. Certes, une consultation publique a été organisée durant la préparation d’un projet de plan 2009-2012 et, en 2018 et 2019, dans le cadre de la préparation du prochain plan fédéral de développement durable. Associations 21 y a participé. On attend toujours les suites !

Il n’a pas échappé à la Cour des Comptes (p. 29). qu’« avant d’adopter la Stratégie Nationale DD, la CIMDD a demandé l’avis du CFDD et de huit autres conseils consultatifs régionaux sur un projet de texte. Dans leur avis conjoint, ils ont estimé que le projet était insuffisant pour réaliser les objectifs, notamment parce qu’il contenait trop peu de mesures concrètes des pouvoirs publics. Ils ont également souligné que les parties prenantes n’étaient pas impliquées suffisamment ni en temps voulu. Les conseils consultatifs n’ont pas reçu de réponse écrite et leur avis préconisant de prévoir des mesures plus concrètes n’a pas été pris en compte »

En conclusion…

Selon la Cour des Comptes, « les différents niveaux de pouvoir belges honorent différemment l’engagement politique en ce qui concerne les ODD. Bien que la réglementation fédérale offre un cadre clair à cette fin, le plan fédéral de développement durable n’a plus été renouvelé depuis 2008. Une vision stratégique fédérale à long terme a été adoptée en 2013. Elle vise un horizon postérieur à 2030 et n’a pas été adaptée par rapport aux ODD adoptés par l’ONU (programme 2030) en 2015. »

En matière de communication, « Les différents gouvernements ont lancé diverses initiatives afin d’impliquer le public et les parties prenantes dans leur stratégie de développement durable, mais ils n’intègrent pas ces actions dans des plans, à l’exception de la Région wallonne ».

Dans leurs plans stratégiques, les gouvernements n’ont pas encore intégré d’estimation des moyens nécessaires pour réaliser les ODD, à l’exception de la Communauté Germanophone.

La Cour des Comptes a pris connaissance du second rapport de mise en œuvre des ODD publié par la Direction Développement Durable de la Wallonie, en collaboration avec le service statistique de l’Iweps : Où en est la Wallonie, par rapport aux Objectifs de Développement Durable ? Ce bilan adopté par le Gouvernement Wallon le 12 mars 2020, se base sur certains indicateurs nationaux, mais utilise aussi des indicateurs spécifiques issus de la liste des Nations Unies. Associations 21 relève qu’il est de belle facture et d’accès aisé. On peut l’obtenir en format imprimé.

Il est regrettable que la Communauté française, la Cocom et la Cocof n’aient pas établi des plans stratégiques de développement durable. Associations 21 y voit le reflet d’un oubli majeur dans la conception même du développement durable, dès sa définition en 1987 : la culture n’y était pas nommée, pas plus qu’en 1992 quand le Sommet de la Terre à Rio a pointé les 3 piliers du développement durable : environnement, social et économie. En 2015, la paix et les partenariats ont été ajoutés à ces 3 piliers. La culture fut de nouveau oubliée. Elle n’apparaît que dans le détail de certains sous-objectifs des 17 ODD mais non dans leurs titres. A la longue, cet oubli structurel rend difficile l’implication des institutions compétentes pour établir ces liens entre culture et développement durable… Une faiblesse de l’appareil institutionnel DD qu’Associations 21 se permet d’ajouter à l’excellente analyse de la Cour des Comptes.